«Ce n'est pas seulement stupide, c'est dangereux!»

Au bout du fil, à New York, la jeune auteure féministe Jessica Valenti est consternée. «C'est incroyable.»

On ne discute pourtant pas des campagnes pro-abstinence et pro-virginité avant le mariage des conservateurs américains, qu'elle pourfend dans son dernier livre, The Purity Myth. On ne parle pas non plus de l'apathie de la société devant les attaques misogynes graves et ultra-répandues des internautes sur les blogues et autres pages web, un autre sujet de prédilection de la fondatrice du très populaire site carrefour Feministing.com.

On parle du Canada, dont elle est tout juste de retour après avoir donné une conférence dans une université ontarienne. Le Canada, où elle a appris que le gouvernement conservateur ne voit pas comme essentielle l'inclusion de la contraception et de l'accès à l'avortement dans son prochain programme de promotion de la santé des femmes dans les pays du tiers-monde.

 

«On dirait que ces gens-là ne pensent pas à la réalité des femmes dans leur vie quotidienne.»

Jessica Valenti, 31 ans, auteure de quatre livres, conférencière, celle que Libération a appelée l'incarnation de la «nouvelle mouvance de féministes refusant tout compromis avec la Toile comme champ d'action», est aujourd'hui un des visages incontournables des grands débats sociaux américains touchant les femmes: avortement, violence conjugale, hypersexualisation des jeunes, programmes pro-abstinence...

Si vous voulez faire grimper dans les rideaux l'Amérique de Sarah Palin et de George Bush, celle où l'on découvre que les plus farouches critiques des droits des gais sont parfois eux-mêmes gais, cette Amérique conservatrice qui croit que prôner la virginité jusqu'au mariage est une façon efficace de lutter contre les grossesses adolescentes, prononcez le nom de la jeune conférencière. «Tout ce que je veux, dit-elle, c'est que les gens enlèvent leurs oeillères et regardent la réalité pour ce qu'elle est. Par exemple, 95% des Américains ont des relations sexuelles avant d'être mariés. Et ce n'est pas nouveau, les statistiques démontrent aussi que le sexe avant le mariage était répandu dans les années 40.»

Peut-on, demande-t-elle, mettre fin à l'hypocrisie?

Au Québec, difficile d'imaginer contre quoi elle se bat puisque, par exemple, on ne connaît pas les «bals de pureté» - des bals où les jeunes filles, accompagnées de leur père, font serment de pureté jusqu'au mariage - et où, malgré certaines difficultés d'accès au service en région, le droit à l'avortement, par principe, n'est plus remis en question. En d'autres mots, on est à 1000 lieues du puritanisme qui a encore cours dans certains pans pas du tout marginaux d'une société américaine où tout progrès social peut être remis en question. Valenti raconte l'histoire d'une jeune fille du Dakota-du-Nord qui, en 2010, a essayé de s'avorter avec une aiguille à tricoter et s'est retrouvée aux urgences, évidemment. «Et on n'entend jamais parler de ces faits. C'est très frustrant.»

Dans l'Amérique contre laquelle elle s'insurge, il y a deux sortes de jeunes femmes. Il y a les vierges et les putains. «Pour eux, les féministes prônent la promiscuité», laisse-t-elle tomber.

Fière de porter l'étiquette féministe à une époque où le mot suscite l'inquiétude, Valenti s'inscrit dans une vague militante qui tient à parler de problèmes très concrets et très près de la réalité des jeunes femmes. Sexualité, donc, mais aussi internet, violence, conciliation travail-famille... Elle envie notre programme de garderie à 7$. «Les femmes américaines seraient tellement contentes d'avoir un tel système», dit la jeune femme, qui vient de se marier et compte avoir des enfants. «Toute cette histoire des femmes américaines qui choisissent de retourner à la maison volontairement, ce n'est pas représentatif, explique-t-elle. D'abord, ça ne touche que les femmes très aisées, la plupart d'entre nous ont besoin du double revenu. Et souvent, c'est parce qu'elles n'ont pas réellement le choix. Mais ça fait l'affaire de certains d'en faire une «tendance»...»

Un autre des grands dossiers qui lui tiennent à coeur, c'est le harcèlement misogyne dont les femmes sont victimes sur l'internet. Car au coeur de la haine et de la colère générale exprimée par les internautes régulièrement sur la Toile, il y a cette hargne toute particulière, hypersexiste, remplie d'un fiel particulièrement virulent, adressée expressément aux femmes. Aux féministes, aux femmes blogueuses et aux autres femmes internautes en général. La situation est si grave qu'une blogueuse américaine, Kathy Sierra, qui écrivait sur les technologies, a dû laisser tomber son site après avoir reçu des menaces de mort. Feministing.com, de son côté, a eu droit à la protection du FBI. «C'est terrible tout ce qu'on voit. Ça me décourage complètement et ça nous oblige à penser deux fois à tout ce progrès qu'on pense avoir accompli.»

Mais qui sont ces gens qui écrivent ces horreurs sans avoir le courage de se nommer? (La caractéristique de ce harcèlement, c'est qu'il est commis anonymement.) Sont-ce des machos finis qui se cachent derrière une normalité apparente dans leur quotidien? Ou les derniers reliquats d'une époque révolue exprimant ainsi leurs derniers soupirs?

«J'aimerais que ce soit la deuxième option, mais je crois que ce sont des lecteurs tout à fait «normaux», répond Valenti. On en a retracé certains et ce sont des hommes d'affaires, des étudiants...»

Conseils à celles qui hésitent à se lancer sur la Toile, qui veulent laisser leur blogue, qui n'en peuvent plus de ce harcèlement et de l'apathie ambiante à son égard? «Tournez-vous vers vos amis et vos supporters. Et dites-vous que si vous provoquez de telles réactions, c'est de toute évidence parce que vous dérangez et que ce vous faites, ça marche.»