Savez-vous ce que j'aurais aimé pour Noël?

J'aurais aimé que le magazine Time nomme une femme «personne de l'année».

Depuis 1927, seulement quatre femmes ont eu la chance d'être seules en page couverture du célèbre magazine américain, pour cet honneur.

Quatre en 82 ans, c'est trop peu.

 

Surtout que cette année, le choix du magazine ne tient pas du plébiscite: Ben Bernanke, grand patron de la banque centrale américaine, a peut-être permis aux États-Unis de ne pas sombrer aussi profondément que certains le croyaient dans le marasme économique, mais où était-il avant la crise?

Bernanke n'était pas un choix incontournable. Le magazine aurait pu profiter de 2009 pour mettre à la une sa première femme, en solo, depuis Corazon Aquino en 1986. Oui, 1986.

Car Time a peut-être transformé le nom de cet exercice annuel en 1999, pour le faire passer de «homme de l'année» à «personne de l'année», cela n'a apparemment pas changé sa façon de faire ses choix. Depuis la modification, seule Melinda Gates, en compagnie de son mari Bill et de Bono, a vu sa photo à la une, ainsi que trois femmes d'un groupe-clé de 2002: ces whistleblowers qui ont attiré l'attention sur les irrégularités financières derrière les débandades d'Enron et compagnie.

En outre, les pointilleux feront remarquer que les femmes étaient incluses dans l'article de 2003, dans lequel les soldats américains ont été proclamés personnalités de l'année. Même chose en 2006, quand Time a déclaré que nous étions tous à la une, façon de célébrer l'avènement de l'interactivité du web et compagnie.

Sauf que, comme le notait la blogueuse Rachaele Larimore sur le site DoubleX: si Time prend la peine de changer le nom de ce salut de fin d'année pour avoir l'air moins sexiste, le magazine devrait peut-être se donner la peine de choisir une femme, seule, à la une, de temps en temps...

Cette année, en plus, aurait été une bonne année pour choisir une femme non pas comme femme de l'année, mais bien comme personne exceptionnelle.

Cela aurait pu être Hillary Clinton, qui accomplit un travail remarquable comme secrétaire d'État et a montré à tous comment on pouvait se remettre d'une défaite et repartir au travail la tête haute, sérieuse joueuse d'équipe. Sonia Sotomayor, nommée en 2009 première juriste d'origine latino-américaine à la Cour suprême américaine, aurait pu être choisie elle aussi.

Aux États-Unis, certaines blogueuses déçues du choix du Time se sont empressées de lancer des suggestions que la féministe Kate Harding, de Salon, a recensées. Sur leurs listes, le nom de Rachel Maddow, animatrice d'une émission d'actualité politique sur MSNBC, est mentionné. Maddow est en effet ouvertement gaie sans laisser ce trait d'identité définir qui elle est, une affirmation moderne importante au coeur du visage médiatique américain.

Le nom de Sarah Palin revient aussi, même si bien des blogueuses ne sont pas particulièrement enthousiasmées par les idées politiques du personnage. Sauf que la popularité de Mme Palin et la fascination des médias pour cette politicienne qui n'essaie pas d'adopter en tous points le modèle politique masculin pourrait être le début d'un changement de paradigme pour les femmes politiques américaines. Stratèges, prenez note.

Et parlant de stratégie, Time aurait pu choisir Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants. Sans elle, le président Obama ne pourrait pas faire avancer ses projets. Oui, les négociations pour l'adoption de la réforme de la santé ont mené à des concessions sur la liberté d'accès à l'avortement qui ont outré tout un pan de la population. Mais Bernanke n'est-il pas lui aussi controversé?

Personnellement, j'ajouterais à cette liste, sous forme de nomination de groupe, toutefois, les survivantes des crimes sexuels militaires au Congo ou au Darfour par exemple, qui méritent qu'on s'incline devant leur (trop) silencieuse résilience. Ou les femmes iraniennes qui sont descendues dans la rue pour manifester pour la démocratie. D'ailleurs, Neda Agha-Soltan aurait pu être la femme de l'année à titre posthume, car qui ne connaît pas, aujourd'hui, ce visage tragique de la répression iranienne?

* * *

Les mauvais choix de Time peuvent être perçus comme de simples anecdotes. Mais en réalité, ils sont révélateurs.

Même ici, au Québec, société très égalitaire à certains égards, où les femmes sont maintenant majoritaires dans les grandes écoles de droit et de médecine notamment, cela n'a pas encore eu de répercussion sur la place qu'elles occupent à la une des journaux et dans les bulletins d'information.

Dans le bilan annuel d'Influence Communication, qui analyse le contenu des médias, on indique en effet qu'en 2009, seulement une femme se trouvait dans le «top 10» des personnalités qui ont fait les nouvelles au Québec en 2009: Pauline Marois. Qui plus est, Mme Marois est la seule femme sur la liste des 20 personnalités les plus médiatisées de la décennie où, en 13e place, elle se retrouve derrière cinq vedettes du hockey.

Et si Mme Marois est sur la liste de 2009, il faut aussi souligner qu'elle est en huitième place, derrière Carey Price, le gardien de but pas exactement légendaire du Canadien, derrière Bob Gainey et derrière... Régis Labeaume.

Un petit sujet de réflexion pour la nouvelle année?

Meilleurs voeux pour 2010!