Chaque fois que j'écris sur Sarah Palin et que, au lieu de m'interroger sur ses particulières idées d'autres le font déjà très bien , je m'intéresse tout simplement à la popularité du personnage, à son succès auprès de tout un pan de la société américaine, je me fais quand même taxer de pro-Sarah.

Ici, on la déteste tellement que ne pas la matraquer d'invectives pour ses positions sur la liberté de choix en matière d'avortement, le contrôle des armes ou le réchauffement de la planète est suffisant pour avoir l'air complice.

 

Au Québec, Sarah fait fuir les foules.

Hier, quand j'ai appelé à la librairie pour savoir s'ils avaient son nouveau livre, Going Rogue, on m'a pratiquement ri au nez. «Non seulement on ne l'a pas, je ne vois même pas de commande», m'a dit la libraire, qui vend pourtant d'autres grands succès en anglais dans sa grande surface.

Finalement, quand j'en ai trouvé un exemplaire dans une librairie anglophone, j'ai demandé s'il était nécessaire de le réserver. «Non, m'a-t-on répondu. Pas de danger.»

Bref, ici, nous sommes loin de toute Sarah-manie. Ce n'est pas une raison, toutefois, pour rêver que cela n'existe pas.

On au ra beau vouloir qu'elle disparaisse du paysage politique, on aura beau

la trouver aussi cruche qu'on veut, on aura beau dire qu'elle n'est pas présidentielle, que c'était irresponsable de sa part d'accepter la nomination à la vice-présidence vu son incompétence, bref, on aura beau dire ce qu'on veut, aux États-Unis, Sarah fait un tabac.

Elle est partout. Son autobiographie cartonne.

La semaine dernière, à son passage à Oprah, l'audimat déjà généreux de cette émission a grimpé d'un cran. Et les critiques américains qui, l'an dernier, la démolissaient à coup de pelle, sont maintenant plutôt en train de décortiquer le phénomène, de l'analyser, d'essayer de comprendre, fascinés, pourquoi sa popularité résiste à toutes leurs attaques.

Il suffit de regarder, par exemple, les pages de Salon.com, un webzine de gauche publié à San Francisco qui, il n'y a pas si longtemps, s'exaspérait de tous ses mots et maintenant multiplie les papiers sur l'effet Palin. Cette semaine, on y constatait même une certaine amélioration dans la façon de s'exprimer de l'ex-gouverneure, une plus grande clarté, plus de précision dans le langage

On est loin de l'époque où tout le monde se moquait de Sarah. Dire, comme l'ont fait bien des médias, qu'elle est trop à droite et trop tabloïdes que pour mériter notre intérêt n'a pas dégonflé la fascination de la population. Et maintenant, il faut faire avec.

Car les Américains, du moins une partie significative de la société américaine, continuent d'adorer l'ex-gouverneure de l'Alaska. Comme ils aimaient W quand ils l'ont élu.

«Je crois qu'elle va jouer un rôle majeur en politique en Amérique, a dit cette semaine John McCain à Greta Van Susteren de Fox. Les Américains l'aiment, que ça plaise ou pas au New York Times et à d'autres.»

Les raisons de cet attrait ?

Les mêmes qui ont séduit au début de sa campagne électorale avant que l'entrevue avec Katie Couric ne sème le doute sur ses capacités intellectuelles et amorce la déroute.

Palin est souriante, jolie, parle en mots simples, n'hésite pas à prendre ses distances face à tout establishment, et elle a une histoire, du «narratif «, pour reprendre le terme super à la mode dans le monde du marketing politique. Ainsi, le public des journaux à potins, d'Oprah, de Dr. Phil, bien des gens qui ne prennent souvent même pas la peine de s'intéresser aux politiciens veulent la connaître, prennent le temps de l'écouter. Et ils se retrouvent dans ce qu'elle dit.

Dans les anecdotes du quotidien. Dans les valeurs très classe moyenne qu'ils entendent dans le discours souvent confus.

Son discours de droite ratisse large, sur plusieurs tableaux. Il semble traditionaliste, mais parle, en fait, d'une femme qui a mené toute une carrière remplie d'affirmation et hors des sentiers battus. Il semble pro-vie mais vient toucher les pro-choix en montrant comment la décision de porter Trigg, son bébé trisomique, fut vraiment réfléchie et non pas un automatisme (ce qui devrait pourtant être le cas chez les pro-vie). Il semble terre à terre, mais parle d'une femme qui a été propulsée devant les projecteurs mondiaux, coiffée et habillée comme dans un épisode de Desperate Housewives.

De plus, Sarah Palin vient de l'État «frontière» qui, bien qu'il soit tout petit côté population, évoque des valeurs chères aux Américains : la découverte, l'autonomie, la prise de contrôle de l'inconnu.

L'Alaska, c'est ce qu'il reste du Far West et des pionniers. Palin, ainsi, est à mille lieues des intellos de New York, Boston ou Berkeley et de leur monde inaccessible, celui rempli de baguette française, de roquette, de camembert bio mais surtout de connaissances et d'un cosmopolitisme souvent vu avec méfiance par l'électorat de droite et du centre populiste. D'ailleurs, lorsque les républicains ont mis de l'avant que cet univers était justement celui du candidat présidentiel démocrate John Kerry en 2004, ils ont réussi à lui donner une image déconnectée de l'Américain moyen.

Palin, en fait, mélange deux ingrédients-clés: le glamour dont l'Amérique s'est abreuvée au temps de Kennedy et qu'ont les Obama et le patriotisme terre à terre, assumé, sans façon, à la Bush. C'est pourquoi on ne peut l'oublier, ni maintenant, ni pour 2012.

Lorsqu'elle parle, ses idées ne sont peut-être pas très claires (encore), mais le reste se met solidement en place.