Je ne sais pas si vous avez vu le bonheur récemment, mais moi je l'ai entrevu, cette semaine, dans mon jardin. Il faisait sauter tous les enfants venus le voir et avait inscrit sur le visage de l'aînée un sourire muettement béat.

Le bonheur faisait «cotte, cotte, cotte» et il venait de pondre un oeuf.Eh oui ! nous avons une poule dans notre jardin, une poule urbaine, depuis dimanche.

Nous l'avons empruntée à des agriculteurs pour la semaine. Au départ, c'était pour la séance photo avec Normand Laprise dont vous avez vu le résultat mercredi à la une de La Presse. Mais en fait, c'est devenu un projet en soi. Une joie. Une source de rigolade infinie, surtout quand elle s'enfuit et qu'elle se coince dans la clôture, les fesses en l'air, en piaillant comme une folle.

Mon fils, qui avait jadis un ami imaginaire baptisé Chicken Worm, adore les noms qui claquent dans la bouche comme Kodak ou klaxon. C'est lui qui a décidé, lundi, que tant qu'elle serait chez nous, cette poule grise s'appellerait Crazy Cocotte. Un nom qui lui va assez bien vu ses petites crisettes quand on essaie de lui faire comprendre qu'elle doit rentrer dans sa cage et non pas partir en goguette jusque chez le troisième voisin...

Cela dit, Crazy Cocotte est adorable. D'abord elle est mignonne comme tout quand on réussit à l'attraper et à la caresser. Et ensuite, elle ne demande pas grand-chose.

Elle passe la journée dans sa grande cage à chien, son installation urbaine qui lui donne assez d'espace pour marcher un peu et faire ses crottes dans le gazon. Et elle dort et pond ses oeufs dans la cage à chat qui est dans la cage à chien. Elle mange quand bon lui semble. Piaille uniquement lorsque le gros chat gris des voisins vient s'installer en sphinx devant elle pour la dévisager. Et encore là. On ne sait pas trop si elle crie par peur ou par envie de placoter.Mis à part mon sommeil un peu troublé par la crainte qu'elle se fasse attaquer par un raton laveur durant la nuit, elle n'apporte que du bonheur et des oeufs exquis dans notre petite maison et ne fait que gonfler notre envie d'avoir des poules en permanence.

Je sais, pour cela il faudrait déménager à Seattle, Vancouver, Brooklyn ou une autre des nombreuses villes d'Amérique du Nord où c'est maintenant permis. Mais parfois je me demande si on ne pourrait pas pratiquer une sorte de résistance citoyenne, pacifique et gourmande au sein de notre arrondissement et en garder quelques-unes en cachette, même si c'est officiellement interdit à Montréal depuis 1966. Il faudra voir.

Car installer un poulailler serait hyper facile. On peut les acheter en kit, urbains et design sur l'internet. Faites un petit Google avec les mots Eglu ou Cocorico, par exemple, et vous verrez les modèles dernier cri. Tapez « city coops » et on voudra vous vendre des plans pour que vous puissiez construire vous-même un poulailler maison. Autres questions ? Les groupes de rencontre entre citadins propriétaires de poules pourront sûrement y répondre...

Pour moins d'un millier de dollars, on s'équipe. Rien de plus simple. Parfois, les poules sont livrées avec la cabane et on peut choisir des variétés exotiques. Car il y a tout un snobisme de la poule. Leur popularité aux États-Unis (voir l'article de Susan Orlean, The It Bird, sur la question dans le New Yorker de la semaine dernière) est telle que les phénomènes habituellement associés aux marques ont commencé à s'installer. Avez-vous une Brahma, une Ancona ? Ou alors une très canadienne Chanteclerc ?

Nous, pour le moment, on s'amuse ferme avec Crazy Cocotte.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse