Ce n'est pas pour me vanter, mais je suis nulle au barbecue. Nulle.

J'adore l'idée, j'aime l'odeur. J'adore marcher dans les rues de mon quartier en mai et redécouvrir le parfum du saumon qui grille, signe indéniable de l'arrivée de l'été.

En fait, j'aime tout du barbecue, sauf cette crainte qui me saute sur le dos à chaque fois que j'approche de la bête, surtout si elle carbure au gaz. Peur de cette chaleur pas toujours facile à contrôler et de ces flammes qui finissent si souvent par faire calciner mes légumes. Peur que rien ne soit aussi précis que je l'aimerais. Peur que le tout explose. Ça aussi, ça m'a hanté longtemps, avant d'opter finalement pour un barbecue au charbon de bois.

Il faut dire que j'ai raté mon coup souvent.

La toute première fois, c'était dans mon jardin à Ottawa, avec des crevettes. J'avais invité des amis que je connaissais trop peu pour me permettre une telle acrobatie. Le désastre me hante encore. Durs comme de la roche, les pauvres petits crustacés. Mille fois trop cuites, les roses bêtes. Personne ne m'avait dit que la crevette se dépose à peine sur le barbecue, pour un moment qui se compte en secondes plus qu'en minutes, avant qu'on ne l'enlève pour la savourer encore juteuse, légèrement vanillée... Plus tard, je suis même tombée sur un truc: en brochette, collées les unes contre les autres, elles s'encouragent à garder leur moelleux.

Autre expérience désastreuse: des darnes de saumon dont le gras coulait sur les braises, provoquant un redoutable effet lance-flammes. Je suis encore étonnée de ne pas avoir pris feu sur mon balcon devant des convives pétrifiés. Vous le saviez, vous, qu'il faut déposer ces poissons bien gras sur le côté non allumé du barbecue pour ne pas provoquer un effet volcanique?

Je pourrais aussi vous parler de mon poulet cru, car j'étais terrifiée à l'idée qu'il soit trop cuit et sec. Je me rappelle encore de ce sentiment de prendre une pleine bouchée de salmonellose. Des années plus tard, j'ai compris que le truc était de le faire en crapaudine, bien aplati, pour qu'il puisse cuire de façon égale, relativement rapidement, ou alors de le faire griller à feu très doux après avoir laissé mariner les morceaux longuement.

Je pourrais aussi vous décrire le scénario totalement inverse: les innombrables brochettes trop cuites, mangées semelle de botte de peur d'attraper la listériose, offertes à mes convives, été après été. J'en ai mis du temps à accepter qu'il fallait mariner la viande à qui mieux mieux et la faire cuire doucement. Ou alors pour découvrir, pour les hamburgers, qu'il valait mieux préparer un mélange de viandes ou de poisson haché, façon boulettes italiennes, avec mie de pain, oignons, herbes et liaison aux oeufs, pour garder le tout juteux. Cela dit, vous ne vous ennuyez pas, vous aussi, de cette époque où on ne savait pas ce qu'était le E. coli et qu'on se permettait encore de manger le steak haché saignant sans se douter que cela aurait pu nous rendre gravement malades?

C'est à la plage que j'ai finalement fait la paix avec le feu et la cuisson. Et je dois pour cela remercier des épis de maïs non épluchés cachés dans les braises et quelques filets de tassergal (bluefish) fraîchement pêché trempés longuement dans de l'huile d'olive, du jus de limette, de la sauce soja, du gingembre et une quantité imposante de menthe, de basilic thaïlandais et de ciboulette.

On avait fait un trou dans le sable, déposé du bois dans le fond et une grille sur tout ça. Il y avait des vagues qui s'écrasaient en faisant leur cinéma. Un soleil paresseux. Un repas parfait, je vous dis. Sans bonbonne, sans patio. Une grillade. C'est tout.