Saviez-vous qu'on peut mourir de boulimie?

Moi qui ai l'impression d'avoir écrit deux millions de mots sur les troubles du comportement alimentaire et sur les aspects meurtriers de notre obsession pour la minceur et la beauté, j'avais presque oublié qu'on pouvait se tuer en se faisant vomir. C'est le documentaire de Darryl Roberts, America the Beautiful, visionné tout récemment, qui me l'a rappelé.

Purges - vomissements volontaires, utilisation de laxatifs et de diurétiques - et excès alimentaires peuvent en effet se combiner pour provoquer des problèmes de santé très graves, notamment un déchirement de l'estomac ou de l'oesophage, ou alors mener à des déséquilibres de minéraux présents dans l'organisme. Ces déséquilibres peuvent devenir mortels en nuisant au fonctionnement du coeur. C'est ce qui est arrivé à Andrea Smeltzer, dont les parents sont interviewés par le documentariste.

 

Toujours au régime, toujours en train de compter ses calories, toujours en train de se détraquer les entrailles - mais ça, les parents ne semblaient pas le savoir comme des dizaines et des dizaines de milliers d'autres parents en Amérique du Nord, la boulimie étant largement sous-diagnostiquée -, leur fille est morte.

Beautiful, la minceur à tout prix?

Tourné et monté façon Michael Moore - d'ailleurs, le coproducteur Kurt Engfehr a travaillé sur Fahrenheit 9/11 et Bowling for Columbine -, America the Beautiful est un documentaire hyper-accessible et hyper-efficace sur notre fascination toxique pour les idéaux de beauté extra terrestres du monde actuel. (Tellement irréalistes qu'une chirurgienne plastique, à un moment durant le film, explique que des femmes viennent la voir pour être transformées comme certaines vedettes qui sont en réalité «photoshoppées» et ne sont donc même pas elles-mêmes réellement comme ça!)

Bref, le film sera présenté samedi prochain, à deux reprises, au cinéma Impérial, rue Bleury. Allez-y.

Construit autour d'un personnage central, une petite fille appelée Garren, qui devient mannequin à 12 ans - oui, 12 ans - alors qu'elle joue encore avec des poupées Barbie, le documentaire épluche toute l'irrationalité de nos obsessions. On y parle, par exemple, de chirurgie plastique - qui peut mener à la mort elle aussi, comme on s'en rappelle en pensant à Micheline Charest. On y parle des produits de beauté, que l'on consomme sans se poser trop de questions sur leurs ingrédients chimiques alors que de plus en plus de composantes sont mises sur la sellette. On y parle de troubles alimentaires. D'excès partout. Du décalage poison et extrême entre la réalité et les images omniprésentes.

À travers tout cela, la caméra suit la petite fille qui devient mannequin professionnel à Los Angeles, puis à New York, où elle fait sensation, avant de se retrouver plus tard à Paris où elle frappe un mur. On lui dit en effet qu'avec ses 96 cm de tour de hanches (elle mesure 1,90 m), elle n'est pas assez mince. Garren commence alors à se trouver laide et grosse. L'enfer. Dans toute sa terrifiante subjectivité.

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La présentation du film est pilotée par la Eating Disorder Education Organization et aussi par l'ANEB, un organisme montréalais qui vient en aide aux personnes atteintes de troubles alimentaires ainsi qu'à leurs proches. Il y aura discussion après la seconde présentation.

Avant-hier, j'ai joint le réalisateur Darryl Roberts au téléphone à Chicago où il m'a dit qu'il avait déjà passé un peu de temps au Canada depuis la sortie du documentaire, suffisamment pour constater que le public d'ici semble touché de la même façon qu'aux États-Unis. «La différence, au Canada, c'est que j'ai l'impression que les gens, notamment les gouvernements, sont réellement convaincus qu'il faut agir.»

Aux États-Unis, dit-il, c'est la croix et la bannière pour faire réagir les institutions gouvernementales. Mais pour court-circuiter l'inertie, Roberts aimerait organiser un visionnement de son film à la Maison-Blanche, surtout pour Michelle Obama et ses filles. Dans ses rêves les plus fous, il aimerait ensuite qu'elle parte à la FCC, l'organisme qui gère la réglementation des médias américains, pour que des balises soient imposées sur la diffusion des images glamour de maigreur, notamment.

«Mais je sais que dans le fond, ce qui va réellement amener le changement, c'est nous tous, quand collectivement, on va décider de provoquer le changement.»

Actuellement, M. Roberts amasse donc des signatures pour le America the Beautiful Action Network. Quand il en aura 100 000 (il en a 50 000 jusqu'à maintenant), il commencera par demander officiellement au gouvernement d'interdire certains produits chimiques dans les cosmétiques et de tout simplement rendre la réglementation aussi stricte qu'en Europe.

«Je sens que le changement s'en vient», dit le réalisateur. «On approche du point de bascule.»

J'imagine que l'ANEB recommande aux ados et aux adultes touchés par le problème d'aller voir ce film, mais j'insiste pour dire à tous ceux qui ne se sentent pas directement visés d'y aller eux aussi. Mais en fait, qui n'est pas touché?

Qui n'est réellement pas du tout affecté par tout ce qu'on voit, entend et lit tous les jours sur ce qu'on doit peser, sur les vêtements qu'il faut porter, sur la peau que l'on doit avoir, sur la quantité de cheveux idéale à transporter sur son crâne, sur l'exercice qu'il faut faire, sur le temps à passer au gym, sur l'alimentation parfaite à maintenir. Entre les ados obsédés par leur look, les jeunes mamans pressées de retrouver leur taille, les hommes au gym en train de se muscler ou de prouver qu'ils sont à 50 ans aussi en forme qu'à 20, entre tous ces baby-boomers sous le bistouri et toutes ces grands-mamans aspergées de crèmes pour peau lisse, à qui, à qui fiche-t-on réellement la paix?

America The Beautiful

Samedi 25 avril 2009

CINÉMA IMPÉRIAL

1430, rue de Bleury, Montréal

Deux représentations: 14h et 19h

www.anebquebec.com

www.americathebeautifuldoc.com