Quand Suzanne Laplante-Edward appelle, on répond. C'est la moindre des choses. Mère d'Anne-Marie Edward, une des 14 victimes de la tuerie de Polytechnique, elle commande le respect. Surtout quand ses yeux bleus vous percent et vous accrochent comme des serres d'aigle s'il est question du contrôle des armes à feu.

La semaine dernière, Mme Laplante-Edward m'a laissé un message.

«Il faut que je vous parle. Harper veut démolir ce qui a pris 10 ans de ma vie à construire. Je ne laisserai pas faire ça.»

 

Elle parlait du projet de loi conservateur visant l'abolition du registre des armes à feu, qui est actuellement en train de cheminer à Ottawa.

Le projet de loi est officiellement un projet privé émanant d'un seul député conservateur, Garry Breitcreuz, de Saskatchewan. Mais le premier ministre Stephen Harper l'appuie ouvertement. Et ça, la maman d'Anne-Marie ne le prend pas.

J'ai connu Mme Laplante-Edward il y a près de 20 ans, à Ottawa, en couvrant le long cheminement législatif qui a mené à la première loi C17 des conservateurs sur le contrôle des armes à feu, puis à la loi libérale C68.

Elle a participé au dossier dès le tout début, car la longue route qui a mené au resserrement du contrôle des armes est partie de la tuerie de Polytechnique, en 1989. Il y a d'abord eu une pétition organisée par des étudiants de Poly, dont Heidi Rathjen, mouvement qui s'est ensuite étendu pour former la Coalition pour le contrôle des armes, où s'est retrouvée toute une panoplie de corps policiers et d'associations médicales, notamment.

Le processus a été graduel. Les progressistes-conservateurs, au temps de Brian Mulroney et de Kim Campbell comme ministre de la Justice (à ne pas confondre avec les réformistes-conservateurs de Harper), ont mis la main à la pâte, puis ce fut le tour des libéraux.

Vu de Pierrefonds où habite Suzanne Laplante-Edward, vu de cette maison où a grandi Anne-Marie avant d'être tuée avec une arme semi-automatique achetée légalement, le projet de loi privé visant l'abolition du registre des armes à feu est insoutenable. Douloureux. Et l'appui de Harper y est perçu comme une gifle en plein visage des victimes de cette tragédie. N'a-t-on pas dit, mille fois au lendemain de Poly qu'il ne fallait pas que ces jeunes femmes soient mortes en vain?

«En 1991, quand le contrôle des armes à commencé, il y avait eu au Canada 1441 morts par balle. En 2004, on était passé à 792.»

Suzanne Laplante-Edward est fière de ces statistiques.

«Et Harper nous dit que ça n'a rien changé! Comment peut-il dire ça!»

La militante n'est cependant pas non plus très impressionnée par deux autres chefs de parti, le néo-démocrate Jack Layton et le libéral Michael Ignatieff, qui n'a toujours pas répondu à ses appels. «J'apprécie l'engagement social de Jack Layton dans la lutte contre la violence faite aux femmes, dit-elle. Mais ça ne sert pas à grand-chose s'il laisse les membres de son caucus libres de voter pour le démantèlement de la loi qui aide à les protéger.»

Seul Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, l'a assurée de son appui et lui a promis qu'il voterait contre le projet de loi qui s'en va en deuxième lecture dans quelques semaines.

«Je ne comprends pas leur hésitation, dit-elle. C'est tellement évident que le contrôle nous aide à protéger des vies.»

L'argument qui est souvent invoqué pour critiquer le registre des armes à feu est le prix qu'il a coûté, qui se compte en milliards.

Mme Laplante-Edward comprend que cette note astronomique choque les contribuables. «Mais ce n'est pas une raison pour défaire le système. Si tu construis une maison et qu'elle finit par te coûter deux fois le prix, tu as le droit d'être fâché. Mais jamais tu ne penserais à la démolir»

La complexité du système et un certain nombre d'irritants administratifs qui pourraient être corrigés sans tout balancer à la poubelle font aussi partie du lot de critiques au sujet du registre.

Mais là encore, Suzanne Laplante-Edward n'achète pas. «On n'a jamais empêché personne de chasser avec des armes à feu, lance-t-elle. Vous en connaissez, vous, des chasseurs qui ont été obligés d'arrêter à cause de la loi?»

Assise devant moi, à Pierrefonds, par une journée grise et froide, la maman d'Anne-Marie s'enflamme et met les points sur les i avec énergie. Après la tragédie qui lui a arraché sa fille, c'est dans cette croisade qu'est allée toute sa volonté et avoir pu participer à ce projet l'a aidée à poursuivre son chemin malgré sa tristesse.

Après être arrivée à un sentiment d'accomplissement, elle a tenu à prendre du recul, à revenir dans ses quartiers «enterrer» sa fille, comme elle dit. Faire son deuil. Apprendre à vivre autrement.

Mais là, elle est à nouveau prête à bondir. «Va-t-il falloir aujourd'hui que je la déterre pour leur faire comprendre que ça n'a pas d'allure?»

Elle n'a pas vu le film Polytechnique de Denis Villeneuve. Elle n'a pas de crainte au sujet de la qualité de l'oeuvre et fait particulièrement confiance à l'engagement de Karine Vanasse dans tout le projet. Mais elle n'a pas envie de se replonger dans l'horreur, dans une «peine et un désarroi qui ne se racontent même pas».

Harper, en relançant le débat, l'oblige, dit-elle, à revenir sur un passé tragique qu'elle était heureuse d'avoir défié, en retrouvant le bonheur des voyages et en découvrant celui d'être grand-maman. «Vraiment, je n'avais pas envie de revenir là-dedans. Je m'en serais vraiment passée. Mais là, je n'ai pas le choix. On ne va pas les laisser faire ça.»

Lapsus désastreux

Dans ma chronique de la semaine dernière, Messages contradictoires, j'ai commis un affreux lapsus digne de Sarah Palin: dans une phrase dans le texte pas partout quand même! j'ai écrit que l'Afrique était un pays plutôt qu'un continent. Eh oui. Alors voilà, je vous l'ai dit. Je m'en excuse profusément. Vous avez le droit de rire. Un peu.