Si vous parlez des États-Unis à un enfant français ou italien, il pensera à Disney, aux cow-boys, aux gratte-ciels de New York.

Si vous parlez des États-Unis à un enfant canadien, il ne pensera probablement pas à grand-chose. Peut-être à la plage d'Old Orchard où ses parents l'amènent l'été, ou aux vacances en Floride et à Epcot Center avec les grands-parents à Noël.

Nous ressemblons tellement à ce grand pays dont nous partageons les marques de céréales et de dentifrice, qu'il faut attendre longtemps, y vivre un peu, pour comprendre à quel point, en fait, nous en sommes différents.

Religion, bouffe, culture, vêtements, mariage, politique, travail, famille, intégration...

Tout est différent.

Quand je travaillais là-bas comme journaliste, j'étais hantée par la peur de tomber sur la nouvelle sans la voir. Par la peur de ne pas être choquée par ce qui choque Joe le plombier. Un couple pas marié. Un drapeau déchiré. L'absence de canneberges sur la table à la Thanksgiving...

On a beau, tous ensemble, de Percé à Varsovie, de Glasgow à Tokyo, manger les mêmes Big Mac, boire le même café Starbucks, piocher sur les mêmes ordis Dell «harnachés» par Microsoft, en fait, nous sommes totalement différents de ces Américains que nous comprenons à peine.

Leur obsession à propos du droit à l'avortement, leur manie de planter des drapeaux partout, leurs God Bless America à toutes les sauces, leur attachement maladif pour leurs fusils, leur absence de nuance, le bagage plombé de l'esclavagisme, l'individualisme épidermique, leur incompétence en tout ce qui touche la modération, leur fascination pour le grotesque, de Dolly Parton à Britney Spears...

Leur inébranlable confiance en eux et cette conviction d'avoir réellement le meilleur pays au monde.

Il y a, aux États-Unis, des gens qui pensent comme des Canadiens. Ou des Parisiens. Des gens qui détestent Bush et aujourd'hui McCain, autant que les Vaudois ou les Wallons. Des gens, brefs, qui auraient répondu exactement comme tous ces gens sondés dans tous ces pays qui ont dit qu'ils préféraient Obama et qu'ils ne faisaient pas confiance à McCain. Mais les États-Unis, c'est aussi le pays qui a élu W deux fois plutôt qu'une. Ce ne sont pas des gens qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. C'est une autre Amérique qu'on ne voit pas d'ici, ni de Notting Hill, ni des venelles de Kyoto. Et c'est même une Amérique qu'on n'a pas envie de voir.

L'été dernier, j'étais à Berlin quand Barack Obama a prononcé son grand discours au pied de la colonne de la Victoire. J'ai passé dans la capitale allemande quelques jours sur le thème américain, à parler du Mur, de sa chute, du candidat démocrate, de Bush, de la guerre, du pont aérien. À essayer d'expliquer l'Histoire à mes enfants.

Or, nulle part dans tout ce périple sommes-nous tombés sur le moindre souvenir du fameux discours de Ronald Reagan, celui où, à l'été 1987, planté devant la porte de Brandebourg bloquée, il a prononcé ces phrases clés: «Monsieur Gorbachev, ouvrez cette porte. Monsieur Gorbachev, démolissez ce mur.»

Nous sommes restés avec l'impression que Reagan avait volontairement été effacé de tout cet épisode. Comme si on n'avait pas voulu tout gâcher avec ce républicain symbole d'une droite américaine que les Berlinois, comme nous, préfèrent ignorer ou caricaturer.

Cette méfiance et cette incompréhension vont dans les deux sens. En 2004, pour couler le candidat démocrate John Kerry, les républicains ne l'ont-ils pas dépeint comme un amateur de camembert francophile à mille lieues de l'Amérique profonde qui n'en a que pour le Cheez Whiz?

Aux États-Unis, certains partisans d'Obama craignaient même qu'il plaise trop aux Européens durant son voyage estival. Craignaient qu'on le prenne en flagrant délit de baguette ou de citron pressé.

D'ailleurs, quand j'ai parlé des résultats de notre grand sondage collectif à un de ses partisans, ce fut sa première réaction: «Oups, ça, ça ne va pas l'aider...»