Difficile de juger de la valeur des conseils financiers... Carole hésite. Elle se dit peu à l'aise avec les chiffres, mais son intuition l'incite à ne pas suivre les pressantes recommandations de son conseiller.

Elle a 55 ans et pense prendre sa retraite dans deux ans. Le régime de retraite de son employeur lui accorderait alors 70% de son salaire annuel de 55 000$. Elle a également amassé 30 000$ dans son REER.

 

Robert, son conjoint de fait depuis 25 ans, est plus jeune (il a 52 ans) et ne pense pas pouvoir prendre sa retraite avant 65 ans. Il touche un salaire de 26 000$ mais n'a ni régime de retraite complémentaire, ni REER.

«Il a eu plusieurs emplois peu payants, explique Carole. Il n'est pas très porté sur l'épargne, mais il n'a pas de dettes. On a chacun notre compte, mais on paie les dépenses en proportion de nos salaires.»

Ils possèdent en commun une maison d'environ 200 000$, grevée d'un solde hypothécaire de 36 000$. Le taux d'intérêt est de 6,2% pour trois ans.

Le conseiller financier de Carole lui recommande de rompre le contrat hypothécaire actuel, de payer la pénalité et de contracter avec l'institution qu'il représente une nouvelle hypothèque au taux plus avantageux de 3,49%, en l'augmentant de 30 000$. Le prêteur hypothécaire de Carole offre pour sa part d'ajouter 75 000$ à l'hypothèque actuelle, avec un taux fixé à 5,49% pour 30 mois, tout en éliminant la pénalité de 800$.

«Tout ça dans le but de cotiser au REER de mon conjoint, résume-t-elle. L'idée ne me sourit guère: j'aurais préféré avoir le moins de dettes possible à la retraite, et j'aurais plutôt accéléré le paiement de l'hypothèque.»

Son intuition est-elle juste?

Un prêt-levier

Le planificateur financier Martin Dupras, vice-président d'Aon Conseil, n'emprunte aucun détour: ce qu'on offre à Carole est un prêt-levier. L'argent serait investi dans un REER, ce qui pèse dans l'analyse, «mais on lui propose tout de même d'emprunter pour investir», signale-t-il. Il rappelle que les intérêts payés sur un prêt pour investissement dans un REER ne sont pas déductibles des revenus aux fins de l'impôt.

Est-il opportun d'emprunter pour cotiser à son REER? «Si le prêt est remboursé au maximum dans un an, le coût d'emprunt, c'est-à-dire les intérêts, sera habituellement négligeable et la stratégie pourrait être pertinente», estime notre conseiller.

Mais dans le scénario proposé à Carole, le prêt serait remboursé sur plusieurs années. Il faudrait alors comparer le rendement net obtenu sur le REER et le taux d'intérêt du prêt. «Si le taux d'emprunt est plus élevé que le rendement potentiel du REER, on ne pourra pas s'enrichir avec le prêt REER», souligne M. Dupras.

Ainsi, si le taux de l'emprunt hypothécaire est maintenu à une moyenne de 5% par année, le rendement net du REER devra être supérieur à 5% pour justifier cette stratégie.

Est-ce plausible? Le planificateur relève que le rendement des dépôts à terme d'une grande institution variait cette semaine de 1,9% par année, pour un dépôt d'un an, à 3% pour 10 ans. Avec un tel investissement, l'emprunt ne serait manifestement pas rentable.

Le serait-il davantage avec un placement équilibré? On ne peut garantir le rendement d'un fonds commun, rappelle Martin Dupras. Mais puisqu'il faut bien utiliser une référence, il retient les normes de projections récemment publiées par l'Institut québécois de planification financière. Elles indiquent qu'un fonds équilibré produirait un rendement annuel de 5%, «à peine assez pour couvrir les intérêts de l'emprunt», fait valoir M. Dupras.

«Il vaut sans doute mieux s'abstenir, conclut-il. D'autant plus que de viser le remboursement de l'hypothèque au moment de la retraite constitue fréquemment un objectif très valable.»

Carole serait mieux avisée de contribuer régulièrement à son REER d'ici à sa retraite.

Cotiser au REER du conjoint

Ce scénario d'emprunt devait permettre à Carole de cotiser au REER de Robert. Le conjoint au revenu le plus élevé déduit ainsi de son revenu la contribution qu'il fait au REER de son conjoint moins riche. Le premier maximise ses déductions fiscales et le second, une fois à la retraite, sera vraisemblablement moins imposé que son conjoint quand il retirera des fonds de son REER.

Cette stratégie est attrayante, commente Martin Dupras, dans la mesure où le conjoint cotisant possède les droits de cotisation nécessaires. Parce qu'elle a un généreux régime de retraite, les droits de cotisation de Carole sont restreints. En outre, les sommes doivent demeurer deux ans dans le REER du conjoint avant d'être retirées.

«Tant les conjoints mariés que les conjoints de fait peuvent profiter de ces dispositions», indique M. Dupras. Mais qu'adviendrait-il en cas de rupture? Parce que les conjoints de fait ne sont pas soumis aux dispositions du Code civil sur le partage du Patrimoine, chacun conserverait alors le contenu du REER inscrit à son nom, sans égard à celui qui y a cotisé. Avant de contribuer au REER de Robert, Carole devra donc évaluer les risques d'une séparation.

Le conseiller de Carole lui suggère également, une fois qu'elle sera à la retraite, de transférer dans un autre REER les sommes qu'elle possède actuellement dans un fonds de travailleurs, en raison de leur faible rendement. Dès lors, elle se demande si elle devrait continuer à cotiser à ce fonds.

Il est vrai que les fonds de travailleurs ont donné des rendements historiques plus faibles que des placements comparables, constate Martin Dupras. «Mais pour un horizon de placement relativement court, disons moins de 10 ans par exemple, les crédits d'impôt qu'ils procurent en font quand même d'excellents véhicules d'épargne retraite.»

Ces sommes ne peuvent être retirées du fonds de travailleurs avant la retraite. Cette douce étape atteinte, il sera sans doute opportun de les transférer vers d'autres REER, plus sûrs ou plus performants.

Somme toute, l'intuition de Carole l'a bien servie.

 

LA SITUATION

Le conseiller de Carole l'incite fortement à augmenter l'hypothèque de sa maison pour contribuer au REER de son conjoint. Or, elle compte prendre sa retraite dans deux ans. Elle hésite à emprunter cette voie.

»Par ces temps d'instabilité économique, qui ne touchera pas seulement les Américains j'imagine, j'ai un peu peur.» - Carole

LES CHIFFRES

Carole, 55 ans

Revenus : 55 000$

Régime de retraite: 70% du salaire

REER: 30 000$

Robert, 52 ans

Revenus : 23 000$

Aucun régime de retraite

Aucun REER

Propriétaires d'une maison valant 200 000$

Solde hypothécaire: 36 000$

Aucune autre dette

L'OPINION

Il s'agit là d'un prêt-levier, qui peut se justifier pour un prêt REER d'un maximum d'un an. Mais sa rentabilité si le remboursement est étalé sur plusieurs années est nettement plus aléatoire. Mieux vaut cotiser régulièrement au REER d'ici à la retraite.

«On pourra également, après la retraite, diminuer la facture globale d'impôt du couple par un fractionnement du revenu tiré du régime de retraite de Carole.» - Martin Dupras