Peut-on rire du terrorisme islamiste? Se moquer des travers de l'islam comme de ceux qui rejettent en bloc les musulmans? Ridiculiser les craintes des uns et les préjugés des autres - les nôtres inclus -, tout en suscitant une réflexion plus vaste sur le vivre ensemble?

C'est le pari de deux pièces de théâtre, présentées cette semaine à Montréal, sur le même registre tragicomique. Deux spectacles écrits et interprétés par des hommes au tournant de la quarantaine, mettant en scène des personnages bruxellois peu éclairés, qui se retrouvent embrigadés dans des camps de radicalisation djihadistes. Drôle de hasard...

Dans Les lettres arabes 2, présentée à compter de jeudi à Espace libre, Olivier Kemeid et Geoffrey Gaquère joignent leurs voix à celle de Mani Soleymanlou pour raconter les nouvelles péripéties de leurs personnages Rachid et Mouloud.

Les deux écervelés, installés dans le célèbre quartier bruxellois de Molenbeek, se retrouvent malgré eux accueillis dans un camp d'entraînement terroriste en Afghanistan, alors qu'ils se croyaient en route pour un Club Med à Charm-el-Cheikh. Leur G.O., Abu Minable (Soleymanlou), les invitera gentiment à aller allumer des «feux d'artifice» à Montréal. Dans une salle de spectacles...

«On se sert d'un trait d'humour, qui est le mauvais goût, pour mettre en scène une bouffonnerie, rire des extrêmes et dédramatiser la situation», explique Olivier Kemeid.

Ce dernier s'est inspiré de l'actualité nationale et internationale - ainsi que de la trame décalée de La vie est belle de Roberto Benigni - pour créer une pièce «grinçante et vitriolique».

En jouant sur les archétypes des uns et des autres, Les lettres arabes 2 - qui s'inspire aussi des Lettres persanes de Montesquieu - s'intéresse à la stigmatisation, à la radicalisation et au repli identitaire incarné par une frange du mouvement indépendantiste québécois.

Des phénomènes qui n'ont fait que s'intensifier depuis la création du premier volet de la pièce, en 2011. «À l'époque, on était en pleine crise des accommodements raisonnables. Le code de vie d'Hérouxville était en soi un canevas comique auquel il n'était pas nécessaire d'ajouter grand-chose», rappelle Olivier Kemeid, nouveau directeur du Théâtre de Quat'Sous.

Djihad, une tragicomédie

C'est en entendant Marine Le Pen, chef du Front national français, déclarer que les jeunes radicalisés ne posaient pas problème tant qu'ils ne revenaient pas qu'Ismaël Saïdi a, de son côté, voulu écrire Djihad. «J'ai été scandalisé par ses paroles, dit-il. Ce sont des gens de chez nous. Des produits du terroir. Il faudrait tenter de comprendre pourquoi ils se radicalisent.»

La pièce à succès de l'auteur belge, vue par 33 000 lycéens en Belgique et en France, sera présentée ce soir et demain à la Cinquième Salle de la Place des Arts dans le cadre du Festival du monde arabe. C'est l'histoire de trois jeunes Bruxellois «paumés», qui «ne jurent que par Allah même s'ils n'ont jamais lu le Coran» et décident de rejoindre les rangs des djihadistes.

«C'est une tragicomédie qui prend un virage dramatique aux trois quarts de la pièce. Il y a beaucoup de scènes drôles, où on se moque de la stupidité des trois gars, mais ils partent tout de même tuer des mécréants», précise Ismaël Saïdi, auteur de la pièce Djihad.

Ismaël Saïdi, un musulman pratiquant de 40 ans, ne craint pas l'autodérision. «Il faut savoir rire de nous», dit-il, en écho à Olivier Kemeid. Cet ancien policier a quitté le métier afin d'écrire des comédies pour le théâtre et le cinéma (notamment Moroccan Gigolos, un long métrage canado-belge éreinté par la critique, mettant en vedette François Arnaud et Guylaine Tremblay).

«Djihad est une pièce davantage inspirée par mon parcours personnel que par mon parcours de policier», précise l'auteur, témoin autour de lui, à l'adolescence, du recrutement de jeunes djihadistes dans une mosquée de Bruxelles. «À l'époque, on envoyait les jeunes en Afghanistan.»

Saïdi a connu le racisme de part et d'autre. L'antisémitisme comme l'islamophobie. Alors qu'avec sa bande d'amis, il faisait les beaux jours d'une entreprise de télémarketing, les jeunes étudiants ont été remplacés par des figurants «blancs» à l'occasion de la visite d'un représentant aux ventes qui n'aimait ni les Noirs ni les Arabes...

Djihad, qui a été présentée en première nord-américaine dimanche à Québec dans le cadre de la conférence de l'UNESCO sur la radicalisation, est son texte le plus «grave». Il y combat les préjugés par d'autres clichés. C'est la caricature, dit-il, qui lui a permis d'éviter l'autocensure. «Je n'ai pas changé une virgule à cette pièce, qui a été créée le 26 décembre 2014», dit-il fièrement, malgré tous les drames qui ont suivi (Charlie Hebdo, Bataclan, Bruxelles, etc.).

«Je ne crois pas à l'absence totale de censure, affirme de son côté Olivier Kemeid, qui a écrit Les lettres arabes 2 à six mains, avec Gaquère et Soleymanlou. Nous n'étions pas toujours d'accord tous les trois. Il y a certainement eu de l'autocensure. On ne voulait pas provoquer pour provoquer. On ne voulait pas ajouter d'huile sur le feu, ni succomber à une forme de rectitude politique.»

Kemeid, qui s'est retrouvé à Nice l'été dernier avec ses enfants, à 24 heures des attentats de la promenade des Anglais, comprend les peurs et les angoisses, parfois irraisonnées, que le terrorisme peut susciter. Lui qui s'inquiète naturellement de la montée du Front national ou de la menace de l'élection de Donald Trump les a lui-même ressenties.

Toutes ces craintes font partie des Lettres arabes 2, une farce dont la convention comique sera claire. «J'ai fait miens les mots de Pierre Desproges: "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui"», dit Kemeid, qui veut éviter les dérapages équivoques à la Dieudonné.

On peut rire de tout... Le leitmotiv de deux pièces ayant bien des choses en commun, notamment de combattre les idées reçues par la catharsis de la comédie. Celle qui puise son essence dans la tragédie.