La plupart du temps, la réponse est «On verra». Ni oui ni non, bien au contraire... Quand je lis, dans le dossier de Mélissa Proulx sur les mérites des formules positives, que «de plus en plus de voix s'élèvent contre le non», j'entends surtout la mienne s'effacer dans un profond soupir, avant de servir à mes enfants ces deux mots dont ils ont depuis longtemps saisi le sens.

Ce n'est pas par volonté d'éviter à tout prix le «non» et les phrases à connotation négative que j'abuse depuis toujours avec mes garçons du sibyllin «On verra». C'est pour gagner du temps. Pour remettre à plus tard une décision que je pourrais prendre dès maintenant. Je suis le père de la procrastination.

Parmi les solutions de remplacement au mot «non» proposées par la psychothérapeute Francine Lavergne dans ses ateliers La Classe des parents, j'ai retenu la suivante: «Avant de répondre "non", on peut aussi se donner du temps pour réfléchir. Surtout avec les plus grands enfants. "Je vais y penser et te revenir." Ce temps de réflexion permet de ne pas répondre impulsivement et de renforcer la crédibilité du parent.»

Je suis loin d'être convaincu que mes tactiques d'évitement - qu'on ne saurait confondre avec un outil de réflexion - m'ont rendu plus crédible aux yeux de mes enfants. Bien au contraire... J'utilise le «On verra» comme un pis-aller ou un euphémisme, afin d'atténuer l'impact d'un «non» plus franc.

Mes garçons, bien sûr, ne sont pas dupes. Ils savent pertinemment que le «On verra» de papa est un «non» en suspens. Un éventuel refus en attente de certification maternelle («on» exclut la personne qui parle). Avec ce «On verra», ils estiment sans doute leurs chances d'un «oui» ultérieur à environ 1 %. Ils sont de nature optimiste. Ah! la candeur de la jeunesse.

Ce qui m'interpelle en particulier dans ce dossier sur la tendance parentale à dire «non» - plutôt que d'utiliser des formules plus optimistes et diplomatiques -, c'est le pouvoir que l'on détient lorsque l'on est en position d'autorité. Cette prérogative dont on peut certainement abuser parfois.

Manier le «pouvoir» du oui et du non n'est pas chose simple. Il ne s'agit pas que de répondre «Oui, mais après le souper» à toute demande du type «est-ce que je peux importuner mon petit frère sans raison jusqu'à ce qu'il hurle de déplaisir?» Il faut aussi réfléchir, il me semble, aux conséquences de ses paroles. Et à la manière dont nous nous servons des mots pour contribuer à l'éducation de nos enfants.

Je n'ai pas que des défauts comme père. J'ai deux formidables garçons, gentils, allumés, sensibles. (Ce n'est pas seulement moi qui le dis et on permettra que je m'arroge une partie du mérite de les avoir relativement bien élevés!) Mais ils n'ont pas que des qualités, et moi non plus, du reste.

Ils savent, comme seuls deux frères ou soeurs savent le faire, se taper ostensiblement sur les nerfs. Or, l'un de mes plus vilains défauts est l'impatience. J'ai la mèche courte. La vie de parent n'étant pas de tout repos, peu importe l'âge des enfants, je n'ai guère de tolérance pour les querelles vaines et les complaintes de mes deux fils pour un oui ou pour un non...

Je perds parfois mon sang-froid. En revanche, je perds rarement la voix. Je n'irais pas le chanter à TVA, mais je ne manque pas de coffre et l'on se retourne sans hésitation lorsqu'un «ça suffit» devient un «ÇA SUFFIT!!!»

Disons que mes «NON!» semblent avoir une certaine autorité, pour ne pas dire un ascendant certain sur mes enfants. Sauf que lorsque je vois les yeux pétrifiés du plus jeune, et le geste de recul qui l'accompagne, lorsque j'exerce mon autorité parentale de manière bien audible, le doute s'empare chaque fois de moi.

Suis-je, dans mon emportement vocal, plus craint que respecté? Suis-je sévère à l'excès? Est-ce que je sombre, pour tout dire, dans une sorte de «power trip» parental, profitant du fait que mes enfants sont trop jeunes pour oser remettre en question mes décisions?

La frontière me semble bien mince entre l'autorité idoine et le débordement injustifié d'une personne en situation d'autorité. Il n'y a pas que la différence sémantique - et l'effet psychologique variable - entre une phrase qui commence par «oui» ou par «non». Il y a aussi le ton du «oui, mais» et, surtout, du «non».

On ne vantera jamais assez les mérites du renforcement positif, à la maison, à l'école, voire en milieu de travail (pour les adultes). Je ne connais personne qui est davantage motivé par le bâton que par la carotte. Les bons entraîneurs sportifs savent qu'il vaut toujours mieux montrer ce qu'il faut bien faire plutôt que d'insister sur ce qui a été mal fait.

Mes garçons veulent «bien faire». Ils veulent réussir. Je les encourage en ce sens, au meilleur de mes capacités, en leur faisant valoir les leçons à tirer de l'échec. Mais lorsque, fatigué, stressé, vanné, au bout de mes ressources de patience, je leur dis «non» parce que cela me semble la réponse la plus simple ou la plus logique, est-ce que je le fais toujours dans leur intérêt supérieur?

La réponse, sans aucun doute, n'est pas toujours «oui».