Il avait promis, sur le site web de Juste pour rire, un spectacle «audacieux et vrai» aux «gens qu'ils l'ont supporté» (sic) au cours des 23 dernières années. J'espère que Mike Ward dans rue ne tient pas toutes ses promesses d'authenticité - pour Ward surtout -, mais ce spectacle extrêmement vulgaire m'a fait rire plus d'une fois. Il faut dire que Ward a une livraison comique hors du commun et un réel don pour l'humour transgressif.

On reconnaissait dans ce spectacle gratuit à la place des Festivals des numéros de quelques-uns des précédents one-man-show de Ward. Quantité de blagues trop vulgaires, d'ailleurs, pour être répétées dans un journal familial. En particulier des «jokes de graines» livrées à tour de bras. 

Ward est un excellent conteur, mais dans un registre qui reste tout de même limité (celui du pénis et de ses activités corollaires).

De la «graine», l'humoriste est tout de même passé à l'alcool. «Moi, je prends pas mon char soûl parce que je le trouve pas!», a déclaré Ward, qui fait toujours fort dans l'autodérision, avant de raconter un (faux, on l'imagine!) épisode d'alcool au volant. «J'ai eu peur de me retrouver à la une des journaux... encore une fois. Pis cette fois-ci, j'aurais pas Guy Nantel pour me défendre!»

Des blagues et digressions sur le thème de la pédophilie (Jean-François Harrisson et Guy Cloutier à la clé), une référence assez trash à Guy Turcotte (qui a suscité autant de rires que de sifflets dans la foule), une blague assez salée merci sur le cadavre de René Angélil. C'est dans ces transgressions-là - pas toujours du meilleur goût, certes - que Ward est à son meilleur.

On les attendait, et c'est en deuxième partie de spectacle que l'humoriste s'est permis des allusions à son fameux procès. «Je me suis fait emmener en cour. On n'en a pas parlé beaucoup dans les médias...» Ward, comme on sait, fait l'objet d'une poursuite en diffamation de 80 000 $ intentée par la Commission des droits de la personne au nom de la famille de Jérémy Gabriel, qui s'est fait connaître à 8 ans en chantant pour le pape et Céline Dion.

Dans son spectacle Mike Ward s'eXpose (2010), l'humoriste se moquait sans retenue du handicap de ce jeune homme atteint du syndrome de Treacher Collins. Le verdict du Tribunal des droits de la personne est d'ailleurs toujours attendu. Ward raconte qu'on lui a indiqué que la décision du tribunal lui serait envoyée par courriel. «J'ai flashé ce matin que c'était peut-être dans mon junk mail! Enlarge your penis, enlarge your penis, non coupable, enlarge your penis...» Le public massé à la place des Festivals - de quelques milliers de personnes, à vue de nez - l'a applaudi à tout rompre.

«Depuis que j'ai été emmené en cour, je le dis quand ce que je viens de dire est une blague», a ajouté Ward, avant de comparer la Commission des droits de la personne au Tribunal de La Haye pour les criminels de guerre. «Ils m'ont vu à la télé et ils pensent peut-être que je suis Kim Jung-un...»

«Toutes mes jokes pourraient me faire emmener en cour», a d'ailleurs constaté Ward, qui avait décidément les idées fixes. Il s'est moqué de la logique tordue de certains avocats («qui finissent par défendre la pédophilie») et en a rajouté une couche sur le cas Jérémy Gabriel, indirectement, en racontant l'histoire d'un chanteur sourd sans talent qui avait menacé de le poursuivre. «Quand je l'ai entendu, je me suis dit qu'il était prêt pour le pape...»

Ward, qui ne craint pas la controverse, a d'ailleurs terminé son spectacle - avant un rappel et un numéro plutôt convenu (son préféré, dit-il) sur le Viagra - en racontant que s'il avait un fils sourd qui lui avouait un jour vouloir devenir chanteur, il n'hésiterait pas à le noyer dans une rivière. Trash, vous dites? «Plus ça va, plus les gens sont facilement choquables», s'est désolé en riant l'humoriste, devant la réaction mitigée (quelques «hon!») de son public. «Je n'ai pas de fils. Il n'existe pas! Je peux dire ce que je veux! J'ai le droit. Je ne prends plus de chances avec mon humour maintenant.»

Pour ce premier spectacle gratuit du Festival Juste pour rire 2016, la foule bien dense de la place des Festivals a été réchauffée par Mike Patterson, un ami de Ward, avec son entrée en matière rappée de gars qui écoute du Nickelback et qui mange chez Tim Hortons. Patterson est une espèce de Bobcat Goldthwait canadien, qui fait des blagues de beigne en franglais et imite Michael Phelps sous l'eau. Ouain...

Mike Ward le fait avec un humour grinçant et un talent indéniable, mais il devient un peu lassant de le voir se complaire dans une posture de martyr de la liberté d'expression. 

Après son animation du Nasty Show - commandité par PornHub, le YouTube de la porno -, à compter de mercredi, le «Céline Dion des jokes de graines» autoproclamé livrera un nouveau spectacle en anglais où il sera de nouveau question de l'affaire Jérémy Gabriel. Freedom of Speech Isn't Free (auparavant baptisé The People vs Mike Ward) sera présenté tout le mois prochain au fameux Fringe Festival d'Édimbourg.

En mai, le contenu d'un sketch du Gala Les Olivier préparé par Ward et Guy Nantel avait été censuré parce que deux phrases jugées litigieuses faisaient allusion à la mère de Jérémy Gabriel et à la pertinence de la Commission des droits de la personne. Plusieurs membres de la communauté humoristique étaient alors montés sur scène à l'occasion du Gala Les Olivier, masqués et en silence, comme si l'un des leurs avait été emprisonné ou subitement emporté par le SRAS...

Dans le spectacle qui lui a valu d'être poursuivi par la Commission des droits de la personne, on jurerait pourtant que Mike Ward cherchait à être traîné devant les tribunaux. Pour mieux se camper en victime de la rectitude politique, à la manière d'un Dieudonné? Je ne sais pas si c'était l'effet recherché, mais cela semble lui avoir réussi. À preuve, son Olivier de l'humoriste de l'année, obtenu par vote populaire, il y a deux mois.

Samedi, ils étaient quelques centaines d'admirateurs sur place pour lui témoigner leur solidarité (ou pour rire gras et gratis, allez savoir)... parmi lesquels des enfants en bas âge aux premières loges. On espère qu'ils étaient sourds!