Deux réalisateurs. Deux actrices. Deux polémiques liées à des films qui ont été tournés il y a quelques années. Des accusations de sexisme, de dénigrement physique, de manque de professionnalisme. Des mots durs à l'endroit d'ex-collègues. Des excuses franches... et moins franches. Et une vérité qu'il aurait été préférable de taire.

Il était « perplexe », a dit du réalisateur Michael Bay l'actrice Kate Beckinsale en relatant leur première rencontre. « Je crois qu'il a été décontenancé parce que mes seins n'étaient pas plus gros que ma tête et que je n'étais pas blonde », a-t-elle raconté - avec un sens aigu de l'image - sur le plateau d'un populaire talk-show anglais, en début de semaine.

La comédienne britannique venait d'accoucher lorsqu'elle a obtenu le rôle d'une infirmière de la marine américaine dans le film Pearl Harbor, navet de guerre réalisé par Michael Bay en 2001. Le cinéaste et producteur, spécialisé dans le divertissement à grand déploiement (Armageddon, Transformers), lui a suggéré de faire appel à un entraîneur personnel...

« Je venais d'avoir ma fille et j'avais perdu du poids, mais on m'a dit que si j'avais le rôle, je devrais m'entraîner. Et je ne comprenais tout simplement pas pourquoi une infirmière des années 40 ferait ça », a expliqué Kate Beckinsale à l'animateur de la BBC Graham Norton.

Michael Bay n'en avait pas terminé avec le « body shaming » (comme on dit à Hollywood). Pendant la tournée promotionnelle de Pearl Harbor, il répétait à qui voulait l'entendre qu'il avait choisi Kate Beckinsale afin que le public ne se sente pas intimidé par elle. « Quand on lui parlait de moi, il répondait : Kate n'est pas assez attirante pour aliéner l'auditoire féminin. » Charmant.

Selon l'actrice, Bay ne parlait jamais du physique de ses camarades Josh Hartnett et Ben Affleck, se contentant de faire l'éloge de leur jeu. Mais à propos d'elle, il ajoutait invariablement : « Je ne voulais pas quelqu'un de trop beau. Les femmes n'aiment pas quand elles voient une fille trop belle. » 

Les couches successives de sexisme de cette histoire sont trop nombreuses pour qu'on en tienne le compte.

Mercredi sur son site web, sans pour autant s'excuser, Michael Bay a tenu à préciser qu'il trouvait Kate Beckinsale bien belle. Il a ajouté qu'il avait beaucoup de respect pour elle, qu'en plus d'être une excellente actrice, elle était drôle et n'avait pas peur de s'exprimer librement. Qu'il lui avait parlé et que cette « histoire comique » avait été mal interprétée par des médias sensationnalistes.

« Donc, j'imagine que j'étais le "méchant" il y a 16 ans en lui suggérant un entraîneur personnel parce qu'elle avait eu une magnifique petite fille et qu'elle s'apprêtait à jouer dans un film d'action intense, a-t-il conclu. Note aux reporters : 95 % des acteurs principaux au cinéma ont des entraîneurs personnels et boivent du jus vert. » Des « excuses » manifestement bien senties...

Le jour même où Kate Beckinsale, ancienne étudiante en lettres de l'Université d'Oxford, clouait au pilori Michael Bay, réalisateur de blockbusters hollywoodiens, John Carney, cinéaste indépendant irlandais, se fendait d'une déclaration inélégante sur Keira Knightley, tête d'affiche de Begin Again, film qu'il a réalisé en 2013.

À un journaliste du quotidien britannique The Independent, le cinéaste de Once et de Sing Street a confié qu'il ne ferait « plus jamais de film avec des mannequins » (Keira Knightley est une égérie de Chanel). Il s'est plaint de l'entourage envahissant de l'actrice et s'est désolé de n'avoir su la rendre crédible dans un rôle de musicienne « parce qu'il était impossible de vraiment bien travailler avec elle ».

« Je n'ai rien contre Hollywood, mais j'aime bien travailler avec de vrais acteurs plutôt qu'avec des stars, a-t-il déclaré, reprochant à la comédienne son manque d'investissement dans son rôle. Je ne veux pas dénigrer Keira, mais c'est dur d'être acteur de cinéma ; ça demande un certain niveau d'honnêteté et d'auto-analyse, et je ne crois pas qu'elle en soit capable. En tout cas, elle n'en était pas capable sur ce film en particulier. »

Heureusement qu'il ne voulait pas dénigrer Keira... Mercredi, Carney s'est confondu en excuses sur son compte Twitter. Et contrairement à Michael Bay, il semblait sincèrement désolé. Il n'a pas tenté de blâmer son intervieweur ni de prétendre qu'il avait été mal cité.

« J'ai dit des choses méchantes et blessantes à propos de Keira Knightley. J'ai honte de moi. J'ai honte d'avoir dit de tels mots et de ce qu'ils veulent dire de ma personne. J'ai blâmé quelqu'un d'autre pour mes propres échecs. C'est un comportement mesquin dont je ne suis pas fier. C'est arrogant et irrespectueux. »

- John Carney, s'exprimant sur son compte Twitter

J'ai moi-même interviewé John Carney il y a quelques semaines pour son nouveau film Sing Street. C'est un modeste artisan qui préfère de loin les ruelles de Dublin aux feux de la rampe hollywoodiens. Et qui se sent davantage en confiance avec des acteurs débutants - ceux de Sing Street sont des adolescents ; ceux de Once, des musiciens de son ancien groupe The Frames - qu'avec une mauvaise actrice hollywoodienne qui lui a été imposée par des producteurs.

Deux réalisateurs. Deux actrices. Deux polémiques, que l'on aurait tort de mettre sur un pied d'égalité. Un cinéaste de blockbusters, réputé tyrannique, qui ne s'excuse pas d'être sexiste. Un cinéaste indépendant, désenchanté par son expérience hollywoodienne, qui s'excuse franchement d'avoir dit... la vérité.

Le cinéma, décidément, est un univers bien factice.