Pourquoi n'ai-je pas été emballé par Paramour, le nouveau spectacle du Cirque du Soleil qui s'ouvrait officiellement hier sur Broadway ? Sans doute parce que je ne suis pas un amateur de comédies musicales, un genre que je trouve d'ordinaire kitsch au coton, quétaine au cube ou, comme on dit à New York, « schmaltzy » au possible.

Paramour, qui marie le « musical » typiquement new-yorkais à l'art circassien de tradition québécoise, n'y fait malheureusement pas exception. Sa trame narrative à l'eau de rose est mince comme un fil de fer et convenue à en redéfinir le terme. À l'âge d'or de Hollywood, un triangle amoureux se forme entre une chanteuse de cabaret de l'Indiana, le cinéaste réputé qui veut en faire une star et le jeune pianiste désargenté chargé d'écrire une chanson pour leur film (censé révolutionner le septième art).

Rien pour révolutionner le théâtre musical, à mon avis, à moins de nourrir une fascination pour les dérivés sans intérêt de récits de la vie de Marilyn Monroe. On mesure la chance que l'on a eue de découvrir les chansons du Cirque du Soleil dans une langue inventée en souffrant le livret en anglais de Paramour, signé Andreas Carlsson (qui a écrit notamment pour The Backstreet Boys, Def Leppard, Céline Dion et Britney Spears ; ceci expliquant peut-être cela). Un flot incessant de banalités sur fond de musique générique sirupeuse, composée par Carlsson en collaboration avec le duo québécois Bob and Bill.

Non, avant que l'on ne m'en fasse le reproche, je ne suis pas allé à New York en commando téléguidé pour dire du mal d'un fleuron de la culture québécoise mondialisée.

J'ai acheté mon billet à fort prix, accompagnant Fiston dans la Grosse Pomme le week-end dernier pour célébrer ses 10 ans, sur la foi de Luzia, vu il y a quelques semaines (et qui, sans être tout à fait abouti, est autrement plus convaincant que Paramour).

J'étais intrigué par la thématique cinématographique abordée de nouveau par le chorégraphe et metteur en scène Philippe Decouflé après l'expérience avortée d'Iris, à Los Angeles. (Le spectacle, piloté par le Français, a été retiré de l'affiche après seulement 19 mois, malgré d'excellentes critiques, faute d'un nombre suffisant de spectateurs.) Les numéros de cirque, me suis-je dit, auront quant à eux tôt fait d'impressionner Fiston.

Je n'avais pas tort. Ce qu'il y a de plus réussi dans Paramour, c'est le cirque, en particulier les numéros empruntés à Iris. Des effets de mise en scène inventifs : une pellicule de film « vivante » avec des danseurs qui recréent l'effet des 24 images/seconde ; un numéro impressionnant de jumeaux aux sangles aériennes qui virevoltent au-dessus des spectateurs ; une scène de poursuite sur trampoline dans un décor de toit d'hôtel new-yorkais.

Il y a plusieurs années que le Cirque du Soleil tente sans succès de s'implanter à New York avec différents spectacles (Banana Shpeel, Wintuk ou encore Zarkana) présentés dans autant de salles. Pour conquérir Manhattan et s'y imposer durablement, l'entreprise québécoise a embauché un spécialiste de Broadway qui lui a suggéré de s'adapter aux goûts du public, en lui offrant ce dont il est friand : c'est-à-dire la comédie musicale.

Or, c'est précisément dans son volet « musical », omniprésent pour ne pas dire envahissant, que Paramour est le plus conventionnel et le plus faible. Pas assez étonnant, du moins, pour convaincre un chroniqueur rébarbatif au genre que le spectacle transcende ses clichés habituels. Surtout pas avec un scénario aussi insignifiant et verbeux, qui écrase toute tentative d'évocation poétique.

Ce récit indigent est porté par des acteurs-chanteurs certes talentueux, mais qui en sont réduits à la caricature, à pousser la note et la steppette en faisant vibrer leurs avant-bras - « jazz hands » en prime - comme s'ils étaient de la distribution d'un spectacle de croisière de luxe, d'un parc d'attractions de Disney ou d'un tout-inclus cinq étoiles dans le Sud (lieu générique qui englobe nombre de pays où il fait chaud en février).

Pour tout dire, Paramour sent le compromis artistique à plein nez. Le bras de fer entre un metteur en scène talentueux qui a connu un demi-succès à L.A. et une multinationale du « divertissement de qualité » qui souhaite davantage conforter son public dans ce qu'il connaît que de le surprendre avec une proposition originale.

Fut une époque où le spectateur suivait avec confiance les avancées du Cirque dans une discipline qu'il s'amusait à réinventer. Aujourd'hui, c'est le Cirque qui s'adapte aux besoins de sa clientèle-type, qu'il définit lui-même sur Broadway comme « une femme blanche de 50 ans, cultivée, de classe moyenne aisée ». La décision d'affaires se comprend aisément. Pour l'ambition artistique, en revanche...

Quoi qu'il en soit, pour l'instant, la stratégie porte ses fruits. Au terme de plus d'un mois d'avant-premières, le succès de Paramour, dont le budget s'élève à 25 millions US - une somme imposante pour une production sur Broadway ; beaucoup moins pour un spectacle du Cirque du Soleil -, se maintient.

Après un départ canon - plus de 1 million de recettes aux guichets à ses trois premières semaines à l'affiche -, les ventes de billets ont fléchi de moitié. Mais la semaine dernière, Paramour affichait de nouveau un taux d'occupation de sièges de 97 %. Peu de productions peuvent en dire autant sur Broadway, dans un marché que certains disent saturé.

Les premiers échos sont très encourageants pour ce spectacle installé au Lyric Theatre, joli théâtre rétro de la 42Rue, à un jet de pierre de Times Square. Si bien qu'on envisage déjà d'exporter Paramour en Europe - notamment à Londres - et en Asie. À condition que le succès se confirme à New York, où le Cirque du Soleil souhaite que le spectacle reste à l'affiche le plus longtemps possible.

Reste à voir si la critique new-yorkaise, à qui on prête un pouvoir de vie ou de mort sur les productions de Broadway, sera favorable à la dernière création de la troupe québécoise. Heureusement, le quétaine des uns n'est pas nécessairement le kitsch des autres.