Elle brille de tous ses feux dans le coin du salon lorsqu'elle réfléchit la lumière du soleil. Une Fender Stratocaster American Standard Sunburst, comme celle de Jimi Hendrix (mais pour droitier). Je la zieute souvent du coin de l'oeil, mais je ne la touche presque plus. Symbole poussiéreux de rêves de jeunesse inassouvis.

Si je devais former un groupe, il s'appellerait Les Deux Accords. Vous dire mon incompétence musicale. À la fin du secondaire, je me suis pourtant très brièvement improvisé chanteur (dans un groupe d'amis qui reprenait des chansons de Metallica et de Guns & Roses). Je n'ai participé qu'à un très court « spectacle », dans le salon de la maison de mes parents, absents le temps d'un week-end. Début et fin de l'aventure.

J'ai repensé à nos répétitions cacophoniques en découvrant Sing Street, film initiatique de l'Irlandais John Carney, qui a conquis le public du Festival de Sundance en janvier. Ce récit d'apprentissage semi-autobiographique, sur un jeune Dublinois à la recherche de son identité artistique, prend l'affiche aujourd'hui.

Il s'agit du septième long métrage de John Carney, 44 ans, qui s'est fait connaître en 2007 grâce à un autre film musical indépendant lancé à Sundance, le charmant Once, drame sur le spleen amoureux qui a remporté l'Oscar de la meilleure chanson originale. Son plus récent film, Begin Again (2014), était aussi une comédie musicale romantique avec Keira Knightley et Mark Ruffalo.

Sing Street, plus près de Once, met en vedette le jeune Ferdia Walsh-Peelo dans le rôle de Conor, un adolescent de 15 ans qui doit changer d'école à Dublin au milieu des années 80. Il rencontre une belle inconnue, d'un an son aînée, qui rêve d'une carrière de mannequin à Londres. S'intéressera-t-elle à ce jeune homme un peu coincé aux joues rosies ?

Pour la séduire, Conor lui propose de jouer dans le vidéoclip de son groupe. Le hic, c'est qu'il n'y a pas de groupe ! Il en forme un à la hâte, qui pourrait s'appeler The Misfits (sans le punk), semble tout droit sorti de Revenge of the Nerds (1984) et portera le nom de Sing Street.

Conor, qui prend bientôt le nom d'artiste de Cosmo, se transformera physiquement au gré de ses découvertes musicales : Duran Duran (cheveux décolorés), The Cure (maquillage abondant), Spandau Ballet (complets surdimensionnés). Sympathique clin d'oeil à la perméabilité des adolescents aux modes musicales du moment.

« L'idée du film m'est venue en tombant sur le journal intime que je tenais à l'âge de 13 ans », raconte le réalisateur de Sing Street, John Carney.

« C'était comme découvrir un trésor. J'avais l'impression de lire quelqu'un d'autre : une version archi-confiante de moi, beaucoup plus assumée, optimiste et ambitieuse », a confié le cinéaste dans un entretien téléphonique.

John Carney a lui-même fondé son premier groupe à l'école secondaire en espérant attirer l'attention d'une fille qui lui était tombée dans l'oeil. Il était bassiste et tournait des vidéoclips, comme les personnages de son film, d'ailleurs tourné dans son ancienne école secondaire, Synge Street. « C'était important pour moi que ça se passe là, même si ça fait 25 ans, et que ce soit la même époque, avec les mêmes groupes de musique », a-t-il dit.

Le cinéaste, qui a jadis été membre du groupe irlandais The Frames (avec l'acteur principal de Once, Glen Hansard), a composé les chansons de Sing Street en compagnie de Gary Clark, ancien chanteur du groupe des années 80 Danny Wilson (Mary's Prayer). Les pièces ont un indéniable charme pop d'une autre époque, qui se marie bien au reste de la bande originale, imbibée de la nostalgie des succès des années 80 (Joe Jackson, Hall & Oates, etc.).

Film attendrissant et sans prétention, Sing Street rappelle à certains égards - en moins abouti - The Commitments d'Alan Parker, qui puisait ses influences dans la musique de Wilson Pickett et de Percy Sledge. On lui reconnaît des accents de rébellion adolescente à la Back to the Future (auquel il fait référence) ou encore Footloose, dans son illustration du joug clérical irlandais, encore très présent dans les années 80.

« Nous n'avons pas eu de révolution sexuelle dans les années 60 en Irlande comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, rappelle John Carney. C'est arrivé beaucoup plus tard chez nous, au début des années 80. »

S'il est un groupe phare des années 80 qui brille par son absence dans cette comédie musicale au parfum social, c'est celui composé des enfants chéris de Dublin, U2. « Lorsque je grandissais, Dublin était davantage en phase avec James Joyce qu'avec U2, explique le cinéaste. La dernière chose qu'un groupe de Dublin voulait à l'époque, et c'est encore le cas aujourd'hui, c'est être comparé à U2. On voulait être tout sauf une pâle copie de U2 ! »

Le personnage du grand frère de Conor, « poteux » flegmatique qui ressemble étrangement à Seth Rogen, a ce conseil pour son frangin : ne perds pas ton temps à tenter de ressembler aux autres, ou à reprendre les chansons des autres. « Toutes les écoles, tous les bars ont leur band de covers. Si tu veux être un vrai artiste, écris tes propres chansons », lui dit-il (résumant en une phrase ce qui m'empêche de pleinement apprécier La voix).

Faire partie d'un groupe. C'est ce qui, pour John Carney comme pour bien d'autres, importait le plus à l'adolescence. « Ça voulait tout dire pour moi, dit-il. Ça représentait tous mes rêves, toutes mes aspirations. J'avais soudainement accès aux filles, les bullies n'étaient plus sur mon dos, les professeurs faisaient moins attention à mes mauvaises notes. C'était génial ! »

Photo Andy Kropa, Associated Press

Les comédiens Lucy Boynton, Jack Reynor, Mark McKenna et Ferdia Walsh-Peelo ainsi que le réalisateur John Carney lors de la première de Sing Street, à New York, le 12 avril dernier

Photo fournie par TWC

Ferdia Walsh-Peelo et Mark McKenna dans une scène de Sing Street de John Carney