Dans le film Purple Rain, il était The Kid. Jeune musicien prodigieux de Minneapolis, aux ambitions à la mesure de son immense talent, issu d'une famille métissée à couteaux tirés. Un père pianiste alcoolique, une mère chanteuse désenchantée. Un récit semi-autobiographique. Une version romancée de sa propre histoire. Un classique instantané.

Prince Rogers Nelson, mieux connu sous son prénom prédestiné, est mort hier à 57 ans dans son mythique studio de Paisley Park, au Minnesota. L'artiste multidisciplinaire venait de célébrer son 26e anniversaire lorsque Purple Rain a pris l'affiche, en 1984.

Réalisé par Albert Magnoli - qui n'a pas marqué le septième art outre mesure -, Purple Rain est loin d'être une grande oeuvre cinématographique. Mais ce film-culte a fait de Prince, déjà révélé au grand public par l'album 1999, une star mondiale, au même titre que Madonna et Michael Jackson. Ses images syncopées ont mis en valeur l'une des bandes originales les plus marquantes de l'histoire du cinéma.

Le lick de guitare de l'intro de When Doves Cry (« Dig if you will the picture, of you and I engaged in a kiss »), le solo lancinant de Purple Rain (« I never meant to cause you any sorrow »), le groove hypnotique de Let's Go Crazy (« Dearly beloved, we are gathered here today, to get through this thing called life »). Une trame sonore inoubliable.

Grâce à ce film musical, sorte de long vidéoclip de l'âge d'or du vidéoclip, mettant en scène les membres de son groupe The Revolution, Prince a remporté en 1985 l'Oscar de la meilleure partition de chansons (prix qui n'est plus décerné depuis). Y a-t-il eu, dans l'histoire du cinéma, meilleure musique de film d'un seul artiste ?

Deux chansons au sommet du palmarès Billboard (When Doves Cry, Let's Go Crazy), une autre au numéro 2 (Purple Rain), un album qui a trôné en tête du palmarès pendant 26 semaines et s'est écoulé dans le monde à quelque 25 millions d'exemplaires. Au sommet de sa popularité, en 1984, Prince comptait la chanson, l'album et le film les plus populaires des États-Unis.

Son aventure cinématographique venait à peine de commencer. Elle n'eut malheureusement pas la même résonance que sa carrière musicale. En 1986, Prince réalisa lui-même Under The Cherry Moon, en plus d'en être la tête d'affiche. Il répéta l'expérience en 1990 avec Graffiti Bridge, présenté comme une suite de Purple Rain. Les deux films - associés à des albums - furent très mal reçus. L'auteur-compositeur-interprète eut plus de succès en 1989 avec la bande originale du film Batman de Tim Burton (et la chanson Batdance).

Un musicien légendaire

C'est par sa musique que Prince a forgé sa légende. Quelque 100 millions d'albums vendus d'une pop-rock sophistiquée, mâtiné tantôt de funk et de R & B, tantôt de jazz et de musique expérimentale. Multi-instrumentiste, il a enregistré la plupart de ses chansons seul, dans ses studios de Paisley Park. Un musicians' musician, comme disent les Anglos, qui a mené bien des combats pour les droits des artistes, notamment contre la mainmise des grands studios.

Auteur-compositeur prolifique et visionnaire, il restera surtout connu pour ses succès populaires : ceux de Purple Rain, ainsi que Little Red Corvette, 1999, Raspberry Beret et autres Cream. (On lui doit par ailleurs I Feel For You de Chaka Khan, Manic Monday des Bangles et l'indémodable Nothing Compares 2 U, popularisée par Sinead O'Connor.) Mais il était aussi, on avait tendance à l'oublier, un guitariste virtuose.

Séducteur né, sex-symbol atypique cultivant sa propre ambiguïté sexuelle - comme David Bowie, un autre grand disparu de 2016 -, il était aussi iconoclaste que flamboyant, énigmatique qu'excentrique. On retiendra qu'à une époque, se retirant partiellement de la vie publique, il refusait d'être appelé par son nom d'artiste, mais plutôt par un symbole androgyne auquel il avait associé cette expression sibylline : The Artist Formerly Known As Prince...

C'était un maître du métissage. Pas seulement dans sa musique et ses spectacles, où hommes et femmes, peu importent leurs origines et leurs orientations, ont toujours cohabité. Une bête de scène qui pouvait s'abandonner pendant des heures sur scène à un funk organique, puisant dans son propre répertoire et empruntant à celui des autres (comme lors de ce concert d'anthologie de près de quatre heures au Métropolis, qui s'est clos à 3 heures 30 du matin en juin 2011).

Par son art, Prince conviait les gens à s'unir, pour l'amour, pour la paix, pour le mieux. « Why do we scream at each other ? » Paradoxalement, il semblait aussi vivre sur sa propre planète, avec ses propres codes. À la fois l'icône intouchable et inaccessible jalousant sa vie privée, et le p'tit gars né au Minnesota, resté l'essentiel de sa vie au Minnesota, mort dans son studio du Minnesota. Les deux revers d'une même médaille. Le Prince et The Kid. Aujourd'hui, il n'y a pas que les colombes qui le pleurent.