La question, épineuse, de la véracité des faits rapportés dans les biographies filmées nourrit un cycle perpétuel de controverses. Le mois dernier, le comédien Sacha Baron Cohen (Borat), longtemps associé au biopic sur Freddie Mercury, a déclaré s'être dissocié du projet parce que les membres restants de Queen souhaitaient brosser un portrait trop lisse du regretté chanteur de Bohemian Rhapsody.

Selon Baron Cohen, le guitariste Brian May et le batteur Roger Taylor - par ailleurs coproducteurs du film - projetaient surtout de raconter le combat contre le sida de Freddie Mercury et l'effet de catharsis de sa mort en 1991 sur les autres membres de Queen. En faisant fi, pour l'essentiel, du mode de vie débridé et des extravagances de Mercury, qui était loin d'être un enfant de choeur.

La réplique de Brian May est venue en début de semaine, par l'entremise des journaux londoniens. Le guitariste a décrit Baron Cohen en termes peu amènes, arguant que ce sont les membres de Queen qui ont décidé qu'il n'était pas l'homme de la situation, et non le contraire. Qui dit vrai? Qu'est-ce qui est faux? Et comment distinguer le vrai du faux? Ironiquement, ce sont des questions qui concernent la majorité des biographies filmées.

Biographie rocambolesque

Il y a 25 ans, la même année que Freddie Mercury, est mort Miles Davis. Dans l'une des premières scènes de Miles Ahead, premier long métrage du comédien Don Cheadle, à l'affiche depuis vendredi, le mythique trompettiste appelle une station radio de New York et exige de parler à l'animateur en ondes. En direct, alors que son interlocuteur vient de faire jouer So What en faisant l'éloge de l'album Kind of Blue, Davis, de sa voix râpeuse, le traite de tous les noms, le menace de mort et lui ordonne de faire jouer une pièce de Sketches of Spain.

La scène peut sembler ridicule et surréaliste. Plusieurs critiques l'ont d'ailleurs souligné. Et pourtant, selon des historiens du jazz, cet appel d'un Miles Davis courroucé à un animateur de radio new-yorkais a réellement eu lieu. Tout comme cet autre épisode où Davis est battu par des policiers et emprisonné parce qu'il a eu le malheur de raccompagner une femme - blanche - à son taxi, à l'extérieur du Birdland Jazz Club où il jouait le soir même.

Au-delà des questions de véracité, le biopic est un sous-genre hasardeux, auquel sont associés nombre de clichés (larmoyant, racoleur, caricatural, prévisible). Miles Ahead évite la plupart de ces écueils, sans doute parce qu'il ne correspond pas à la définition habituelle de la biographie filmée. Il ne tente pas de se montrer fidèle à la réalité, mais s'articule dans la fiction autour d'une figure historique et emblématique du jazz (terme que Davis réprouvait; pour vrai).

Le film de Don Cheadle, grand admirateur de Miles Davis, n'est ni une hagiographie ni un résumé forcément incomplet de la vie foisonnante d'un personnage peu affable. Cheadle n'abuse pas de flashbacks et se concentre sur la période la moins faste de la carrière de Miles, à la fin des années 70, alors qu'il avait mis sa carrière en veilleuse, ne jouait plus de la trompette, vivait en ermite dans sa maison de l'Upper West Side et se concentrait essentiellement sur sa consommation de stupéfiants.

Tout cela est véridique. Ce qui ne l'est pas le moindrement, c'est l'intrigue du film de Don Cheadle: la rencontre plus ou moins fortuite de Miles avec un journaliste insistant (Ewan McGregor) qui l'entraîne dans une course folle dans les rues de New York, en quête d'argent, de cocaïne et des mystérieuses bandes volées d'une séance d'enregistrement censée marquer son grand retour, échanges de coups de feu et poursuites en voiture en prime.

Don Cheadle, qui incarne Davis dans cette biographie rocambolesque qu'il a coscénarisée, réalisée et produite de sa poche, a consacré 10 ans de sa vie à ce projet (il a même appris à jouer de la trompette).

Il a tenté - c'est aussi un cliché - de saisir l'essence du personnage plutôt qu'une quelconque vérité historique. «Never let the truth get in the way of a good story», aurait dit Mark Twain (vrai ou faux: qui sait?).

Cheadle fait sienne cette maxime et propose un regard impressionniste sur une période nébuleuse de la vie de Miles Davis, canevas idéal pour l'invention. Il prend des libertés presque aussi grandes que Todd Haynes avec le personnage de Bob Dylan dans I'm Not There, biopic halluciné mettant en vedette Cate Blanchett.

Il s'inspire de l'impulsion créative du maître, profitant de sa propre licence artistique pour projeter une lumière dans les interstices et éclairer les parts d'ombre d'un artiste qui fut à la fois un génie et un monstre (comme bien d'autres). Il donne l'impression d'improviser - ce n'est pas le cas - à la manière de Miles devant les images d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle, pour créer un buddy flick improbable, trop appuyé et quasi risible, certes, mais pleinement assumé.

Plus intéressante que cette cavale fantasmée d'un pseudo-gangster cocaïnomane est l'introspection de Miles Davis sur son legs. A-t-il été dépassé par son propre mythe? A-t-il encore des choses à dire? Get Up With It fut-il son chant du cygne?

Le Miles imaginé par Cheadle est en panne d'inspiration depuis l'échec de son mariage passionnel avec l'incandescente Frances Taylor. Il n'a plus l'entrain boulimique de ses séances avec Gil Evans. Il est préoccupé par le contrôle qu'exerce l'homme blanc sur l'homme noir, et pas seulement dans l'industrie du disque. (Don Cheadle a admis lui-même avoir été contraint d'inclure un personnage de journaliste blanc dans son film afin d'obtenir un financement adéquat.)

Sur scène, au générique, le «faux» Miles Davis partage au début des années 80 la scène avec ses vieux complices Wayne Shorter et Herby Hancock. Les «vrais». La dernière scène fantasmée d'un biopic qui trouve le ton juste, sans verser dans le pastiche, la complaisance, la diabolisation ni l'idolâtrie. Et qui, sans transcender le genre, a le mérite d'être audacieux, original et imprévisible. Tout en donnant envie de revisiter une oeuvre authentiquement monumentale.