Il est toujours un pas en avance sur les autres, Xavier Dolan. Voire sur lui-même. Alors que l'on annonçait jeudi à Paris la sélection de son nouveau film, Juste la fin du monde, en compétition au Festival de Cannes, il faisait du repérage à Londres pour son premier film américain, The Death and Life of John F. Donovan, qui sera tourné dès juillet à Montréal, New York, Prague et dans la capitale anglaise.

Perpétuellement dans l'oeil du cyclone, le touche-à-tout de 27 ans se retrouvera en mai, pour la deuxième fois en trois ans, dans la course à la prestigieuse Palme d'or, en compagnie des frères Dardenne, Ken Loach, Sean Penn et autres Pedro Almodovar.

En mai dernier, un an au jour près après avoir reçu le Prix du jury pour Mommy, je l'ai croisé à la fête donnée après la soirée de clôture du Festival, en compagnie des frères Coen et des autres membres du jury. Il saluait le président Pierre Lescure. Il avait un avion à prendre très tôt le matin pour Montréal. Dès le lendemain, il entamait à Sainte-Dorothée le tournage de son sixième film, mettant en vedette Marion Cotillard, Vincent Cassel, Nathalie Baye, Léa Seydoux et Gaspard Ulliel.

Presqu'un an plus tard, a-t-il l'impression de boucler une boucle? «Oui et non, me dit-il depuis sa chambre d'hôtel londonienne. Le temps est tellement une abstraction dans ce métier-là. Il y a eu le tournage, puis le montage et ensuite les voyages de repérage pour John F. Donovan. Je suis en fin de parcours sur Juste la fin du monde et en début de parcours sur John F. Donovan. Les films se sont chevauchés avec une certaine... violence. Mais Juste la fin du monde, sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, est enfin dans la canne!»

Un projet n'attend pas l'autre avec Xavier Dolan, qui a réalisé son «film français» parce que le financement de The Death and Life of John F. Donovan, une critique du showbusiness américain doté d'un budget de 38 millions et mettant en vedette Natalie Portman, Jessica Chastain, Susan Sarandon et Kit Harrington, tardait trop à être finalisé. Selon ses critères d'hyperactif...

Je l'avais interviewé au moment de la sélection de Tom à la ferme en compétition à la Mostra de Venise, alors qu'il faisait simultanément la sélection des costumes de Mommy et corrigeait le dossier de presse vénitien de son film. Sa méthode de travail n'a pas changé. Il choisit ces jours-ci des tissus pour les costumes de John F. Donovan tout en préparant le dossier de presse cannois de Juste la fin du monde. La roue tourne et c'est lui qui tient la manivelle.

Dire que Xavier Dolan est un enfant chéri de Cannes est un euphémisme. Il est «né» sur la Croisette en 2009, à la Quinzaine des réalisateurs, avec son premier film, J'ai tué ma mère, tourné alors qu'il n'avait que 19 ans. Déjà, il avait été repéré par le délégué général Thierry Frémaux, patron de la sélection officielle, avec qui il entretient pratiquement une relation père-fils.

Depuis, quatre de ses cinq films ont été présentés à Cannes, dont trois en sélection officielle. Et l'année dernière, l'une des rares où il n'avait pas de long métrage à montrer, il siégeait au jury. Ce qui ne garantissait pas pour autant la sélection jeudi de son sixième film (en huit ans!) parmi les 20 longs métrages retenus en compétitions, malgré plusieurs arguments en sa faveur, notamment une distribution impressionnante de stars françaises.

«Il y a plein de films avec plein de stars qui ne sont pas là!», répond Dolan qui, même s'il reconnaît entretenir d'excellents rapports avec la direction du Festival, sait que Juste la fin du monde aurait été écarté s'il avait été jugé «trop faible» pour la compétition - où il était attendu par une majorité d'observateurs. «Disons que certains le tenaient pour acquis plus que moi! C'est un privilège. Et une invitation dont je ne me lasserai jamais, qui ne perdra jamais de son prestige ni de sa qualité.»

Il a su «il y a un moment déjà» que son film, une coproduction franco-québécoise, avait été sélectionné en compétition. «Le Festival a eu la courtoisie de voir le film très tôt et de donner une réponse dans des délais très raisonnables, dit-il. Il a été considéré comme un film québécois, alors on n'a pas eu à subir la torture des films français qui attendent jusqu'à 1h du matin la veille de la conférence de presse pour avoir une réponse!»

Juste la fin du monde, adaptation d'une pièce du dramaturge français Jean-Luc Lagarce - que sa muse Anne Dorval a fait découvrir à Dolan il y a quelques années -, raconte l'histoire d'un jeune auteur (Gaspard Ulliel) qui retourne dans sa ville natale, après une absence de 12 ans, afin d'annoncer sa mort imminente à sa famille.

Un film tourné à Laval, mais campé dans une ville française anonyme, avec des acteurs français, que Xavier Dolan ne considère pas pour autant plus éloigné de lui que ses oeuvres précédentes. «À chaque film, j'ai l'impression de me rapprocher de moi-même tout en m'en éloignant. Comme si je me débarrassais d'une certaine surface et que j'allais plus en profondeur dans ce qui m'intéresse vraiment, c'est-à-dire l'histoire et les personnages. J'étais content d'approfondir une conversation sur la famille qui jusqu'à maintenant se limitait au rapport mère-fils. Ça s'inscrit dans une continuité, il y a des thèmes qui me sont familiers, mais c'est pour moi un film qui esthétiquement, n'a rien à voir avec les autres. Rien, rien, rien!»

En 2014, Mommy avait reçu le Prix du jury, ex-aequo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard. L'emballement pour son film était tel que plusieurs, surtout en France, avait prédit la Palme d'or à Dolan, qui avait fini par y croire. Avec cette deuxième sélection en compétition cannoise - qu'il envisage avec «une nervosité mêlée d'enthousiasme» -, le cinéaste québécois entre de plain-pied dans le gotha de la cinéphilie mondiale. Il concourra aux côtés de cinéastes déjà palmés d'or tels les frères Dardenne, Ken Loach et Cristian Mungiu.

«Là où je ressens une certaine forme d'intimidation, dit-il, c'est par rapport à l'âge et à la carrière des cinéastes qui sont invités. Même si j'ai fait six films et que j'aurais pu les faire sur une période de 20 ou 25 ans, je sens, non pas une forme de malaise, mais un amusement mêlé de gêne de me retrouver avec Jim Jarmusch, Sean Penn ou Andrea Arnold. Des gens que je respecte beaucoup.»

Il n'a jamais caché ses ambitions, parmi lesquelles se trouve certainement celle d'être le premier Québécois auréolé d'une Palme d'or. Juste la fin du monde, qui prendra l'affiche simultanément le 21 septembre, en France et au Québec, est-il selon lui un «film à palmarès»?

«C'est une question-piège, mais je vois difficilement comment on pourrait refuser d'être touché par le film. C'est un film sur la famille. C'est un film qui est très émotif, plus émotif que Mommy. Plus discret, plus silencieux, même s'il y a une explosion à la fin. C'est un crescendo, très court aussi, d'une heure et demie qui, je l'espère, percera l'écorce des gens endurcis. J'espère qu'à Cannes, il séduira les journalistes et le jury.»