C'est l'endroit qui a vu naître à l'étranger certains des meilleurs films québécois des dernières années. C.R.A.Z.Y.IncendiesContinental, un film sans fusil ont tous connu leur baptême international dans la section Venice Days de la Mostra de Venise, avant de faire le plein de prix Jutra au Québec.

Pour la deuxième année consécutive, le Centre Phi organisait l'événement Venice Days, une sélection des meilleurs films de cette section de la Mostra de Venise, le plus vieux festival de cinéma du monde - et l'un des quatre plus prestigieux avec Cannes, Berlin et Toronto.

L'occasion, à la veille du Gala du cinéma québécois, de discuter de l'état de notre cinéma avec Sylvain Auzou, programmateur et vice-directeur de cette section compétitive vouée au cinéma indépendant. Français d'origine installé depuis trois ans à Buenos Aires, après avoir vécu une dizaine d'années à Rome, Sylvain Auzou n'est pas du type complaisant. Il admet volontiers voir, bon an, mal an, son lot de navets québécois.

«Il y a des choses vraiment intéressantes, mais il y a aussi des daubes pas possibles», me dit-il. 

«Je ne vais pas me faire d'amis en disant ça, mais le paradoxe, c'est que plus on finance de films et plus il y a de films qui se font, moins la qualité est bonne. Il ne faut pas produire des films à tour de bras pour faire des navets.»

De mauvais films, précise-t-il, il y en a dans toutes les cinématographies. «Est-ce que Les boys avaient obtenu un Jutra? me demande-t-il, mi-figue, mi-raisin. Disons que Les boys, ce n'est pas du tout ma tasse de thé. Ni Les invasions barbares du reste. Vraiment pas...»

Le sélectionneur a, en revanche, beaucoup aimé Le vendeur de Sébastien Pilote et Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau, qu'il aurait souhaité compter dans sa programmation.

Croit-il prêter une attention particulière au cinéma québécois parce qu'il est français? «Honnêtement, notre intérêt pour le cinéma québécois ne vient pas seulement de moi. Il y a une belle ouverture de nos sélectionneurs au cinéma québécois. C'est une belle aventure pour nous. Ça a commencé avec C.R.A.Z.Y., qui a été un coup de coeur dès notre deuxième édition. Puis, il y a eu Incendies, Continental, Café de Flore et bien d'autres.»

C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée a incarné le début de l'affinité entre le cinéma québécois et Venice Days, qui sélectionne une douzaine de films par année depuis 2004 en marge de la compétition officielle de la Mostra - et qui a couronné l'an dernier Early Winter de Michael Rowe, mettant en vedette Paul Doucet et Suzanne Clément.

En revanche, la Mostra de Venise accueille rarement des films québécois en compétition officielle. L'ancien directeur du festival, Marco Muller, n'était pas très amateur de notre cinéma, selon Sylvain Auzou, qui croit que son successeur, Alberto Barbera, pourrait ouvrir la porte à davantage de cinéastes d'ici, à l'instar du Festival de Cannes, où Xavier Dolan est pressenti en compétition en mai par plusieurs observateurs, avec un film «français» tourné à Montréal.

«Venise a aussi bonne réputation que Cannes en Amérique, sauf au Québec et en Colombie pour une raison qui m'échappe», se désole Auzou en prêchant pour sa paroisse. 

«Les Américains préfèrent Venise: Birdman, Brokeback Mountain, Gravity ont été lancés à la Mostra. Mais il y a un vrai souci des Québécois d'être à Cannes. Je crois que c'est lié au complexe Denys Arcand: on n'a pas eu la Palme d'or; on aimerait l'avoir...»

Sylvain Auzou ne mâche pas ses mots lorsqu'il est question des autres festivals de cinéma, en particulier de celui de Toronto (TIFF), principal concurrent de la Mostra. «C'est très jouissif quand les films québécois fonctionnent parce qu'ils sont présentés à Venise avant Toronto et que Toronto est obligé de les prendre, dit-il avec un sourire malicieux. Toronto n'a pas du tout envie de les prendre, pour être franc. On déteste les films québécois à Toronto! Il faut dire les choses comme elles sont et arrêter l'hypocrisie!»

Le Festival de Venise, qui a lieu en même temps que le Festival des films du monde de Montréal, se bat surtout pour des primeurs mondiales avec le TIFF, qui a lieu dans la foulée. «Qu'ils aillent se noyer dans une mer de 300 films, c'est leur problème!», dit Auzou à propos des cinéastes et producteurs qui lui préfèrent son principal rival.

Dans ce milieu où la compétition est féroce - sauf pour le FFM, marginalisé depuis des années - , on aime se targuer d'avoir «révélé» tel cinéaste ou telle oeuvre à la barbe des autres. Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, avait regretté ne pas avoir sélectionné Incendies de Denis Villeneuve, que Sylvain Auzou a personnellement choisi pour Venice Days.

L'intérêt de cette section du Festival de Venise pour le cinéma québécois est tel que sa direction avait fait une exception pour Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur, qui avait déjà pris l'affiche au Québec avant d'être sélectionné. «On ne présente d'ordinaire que des primeurs mondiales. Mais Continental nous a beaucoup plu, on l'a choisi, il a été bien accueilli et ça a relancé le film qui a repris l'affiche en salle et a gagné plein de Jutra!»

Y a-t-il des films québécois de la dernière année qu'il regrette de ne pas avoir sélectionnés?

«J'aurais aimé qu'on prenne Guibord [de Philippe Falardeau], confie Sylvain Auzou. Et je pense qu'on a fait une erreur en ne choisissant pas Ville-Marie [de Guy Édoin], avec Monica Bellucci. J'ai l'impression qu'on est un peu trop ambitieux avec le cinéma québécois. On voudrait avoir Incendies chaque fois. Il n'y a pas des chefs-d'oeuvre chaque année!»

PHOTO TIRÉE DE GOOGLE IMAGES

À la Mostra de Venise, Sylvain Auzou est programmateur et vice-directeur de la section Venice Days, vouée au cinéma indépendant.