Il fallait le voir, seul sur scène, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, l'oeil espiègle et gamin, prendre la mesure de cette salle Wilfrid-Pelletier archicomble. Quelque 3000 personnes, emplissant toutes les mezzanines et corbeilles, venues l'entendre, avec sa guitare et sa douce folie, chanter ses chansons. Lui, le fantôme de Paradis City...

Il fallait le voir, seul sur scène, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, l'oeil espiègle et gamin, prendre la mesure de cette salle Wilfrid-Pelletier archicomble. Quelque 3000 personnes, emplissant toutes les mezzanines et corbeilles, venues l'entendre, avec sa guitare et sa douce folie, chanter ses chansons. Lui, le fantôme de Paradis City...

Ce spectacle solo de Jean Leloup à la Place des Arts, au début du mois de décembre, fut le point d'orgue d'une année de renaissance. « Son » année. Cinq Félix, dont celui de l'album rock et celui de l'auteur-compositeur de l'année au Gala de l'ADISQ. Un succès à la fois critique (album de l'année selon les journalistes) et populaire (chanson de l'année et interprète masculin de l'année selon le vote du public) pour l'auteur d'À Paradis City, album mélancolique aux mélodies enjouées, paru début février.

Ce disque - le plus inspiré de Leloup depuis une douzaine d'années, à mon avis - a monopolisé le lecteur CD de la voiture pendant des mois. Les garçons réclamaient constamment Paradis City, au refrain irrésistible, ou encore la douce-amère Les bateaux.

J'avais moi-même un faible pour les guitares électriques des Flamants roses. Des mélodies accrocheuses transcendant le noir de noir de cette sombre poésie. (« Alcoolique ou narcomane, il y a quelqu'un qui rit dans mon cerveau en panne. [...] On m'assure qu'il y a encore de l'espoir, je veux tellement y croire. Mais mon âme est si noire. »)

Le plus vieux m'a accompagné main dans la main à la Place des Arts. Ravi d'entendre, d'entrée de jeu, ces chansons dont il connaît toutes les paroles. Passé à tour de rôle le bras autour des épaules. Un père profitant de l'affection de son fils de 11 ans, avant que l'orgueil de l'adolescence n'interdise ce genre d'épanchements.

Une soirée magique. Fiston, qui quittera en juin le primaire, chantait à voix basse Paradis City pendant que je m'imbibais du souvenir de Printemps-été, découverte alors que j'étais moi-même au secondaire. À l'époque, Leloup m'avait réconcilié à lui seul avec le rock'n'roll québécois. Depuis, sa musique a toujours été là avec moi, en toile de fond.

C'est ma vie que je voyais défiler dans mes pensées en écoutant toutes ces chansons que je connais par coeur :  Barcelone, Balade à Toronto, Le dôme, Je joue de la guitare, Les fourmis, Johnny Go, Décadence - que j'ai toujours sur un vieux EP quelque part, avec deux versions de 1990 (avec et sans disco), qui n'étaient pas sur la version originale de L'amour est sans pitié.

Oui, le lien d'admirateur indéfectible que j'entretiens depuis plus de 25 ans avec Jean Leloup est très fort. Et il ne tient pas seulement à cette drogue dure que l'on appelle la nostalgie. 

Je l'ai suivi dans ses multiples incarnations : de Jean Leloup à John The Wolf, de Jean Leclerc à Jean Dead Wolf. Dans ses coups de génie et ses errances, sur disque et en spectacle.

Revoir Leloup sur scène aujourd'hui, c'est mesurer toute la richesse de son répertoire. Il pourrait, soir après soir, livrer un spectacle complètement différent que son public n'aurait pas plus de difficulté à compléter ses phrases et à lui souffler des paroles à l'oreille, tellement ils sont en symbiose. Entre octobre et décembre, les trois quarts des chansons de ses deux spectacles (avec orchestre et en solo) n'étaient plus les mêmes.

J'étais là aussi, à l'automne au Métropolis, pour son spectacle avec band et quatuor à cordes. Les fans chantaient les succès de la première heure comme ceux de l'année en cours, sans distinction aucune entre le neuf et le vieux. Tout le contraire de la plupart de ces rock stars vieillissantes que l'on va surtout voir en spectacle pour se remémorer un âge d'or révolu, en souffrant poliment les nouvelles chansons sans panache pour mieux savourer les vieux hits intemporels. Les Rolling Stones, U2, AC/DC...

Jean Leloup, quant à lui, ne roule pas sur son vieux fonds de commerce. Si plusieurs de ses riffs finissent par se ressembler, il a le don de puiser dans un puits sans fond d'inspiration, à la fois musicale et poétique, pour nous séduire chaque fois davantage. Plusieurs chansons d'À Paradis City, à la lumière de la réaction de son public (et de mes garçons !), sont déjà des « classiques ».

J'ai connu tous les Jean Leloup sur scène, depuis le temps (je fréquente ses spectacles depuis l'âge de 17 ans). Les électriques et les erratiques, au gré des soirées. Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Plusieurs le croyaient perdu, depuis quelques années, à la dérive, en proie à ses fragilités, succombant à ses vieux démons.

En 2015, Leloup est apparu plus vivant et vibrant que jamais. Ce n'est pas pour rien qu'il a vendu des dizaines de milliers d'albums et de billets de spectacles. Il fallait le voir, début décembre, seul sur scène, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, l'oeil espiègle, jouer au fantôme de Paradis City. Unique, émouvant, authentique. En communion parfaite avec son public. Avec moi, avec mon fils. Gamins complices. Nous étions heureux (air connu)...

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Première du concert acoustique Le fantôme de Paradis City, à la salle Wilfrid-Pelletier.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Première du spectacle avec orchestre de Jean Leloup, au Métropolis.