«Luke ne peut pas passer du côté obscur de la Force, papa!» D'ordinaire, à pareille heure, ils sont à moitié endormis et mutiques, abandonnés à leurs rêveries matinales. Pas ce matin-là.

Je les avais piqués au vif, sans le vouloir, en route vers l'école. Je le voyais à leurs bras basculant vers moi, les mains ouvertes en signe de désarroi, bouches béantes et visages interloqués dans le rétroviseur.

J'avais vu la veille au cinéma la dernière bande-annonce du nouveau Star Wars - The Force Awakens. Avec ce personnage de triste sire, au masque noir et à la voix caverneuse rappelant vaguement Darth Vader. Son nom: Kylo Ren, un corsaire de l'espace (à ne pas confondre avec Rilo Kiley, band de rock indie californien).

«Je vais terminer ce que tu as entrepris», dit-il de sa voix d'outre-tombe en s'adressant à une précieuse relique: le casque abîmé - comme s'il avait été laissé longtemps trop près d'un calorifère - du Seigneur noir des Sith autrefois connu sous le nom d'Anakin Skywalker (alias Darth Vader, et accessoirement père de Luke Skywalker, pour ceux qui s'y perdent dans la généalogie de la célèbre saga intergalactique créée par George Lucas).

Sans anticiper leur vive réaction, j'avais fait part aux garçons de «ma» théorie sur le destin du plus-tout-à-fait-jeune Skywalker dans l'épisode VII de la série, faisant écho à une rumeur propagée sur le web depuis des mois. Une rumeur pour moi. Pour eux, rien de moins qu'une hérésie...

Le personnage de Luke Skywalker n'apparaît ni dans les bandes-annonces ni sur aucune affiche de The Force Awakens, dont l'action se déroule une trentaine d'années après The Return of the Jedi, dernier film de la trilogie originale que j'ai vu au cinéma à l'âge de 10 ans. C'est tout juste si l'on entend la voix de Luke dans une bande-annonce, philosophant sur la Force, feu son Lord de père et sa princesse de soeur.

Or, le nom de Mark Hamill, l'acteur qui incarne Luke Skywalker, se retrouve bel et bien au générique du film, entre ceux de Harrison Ford (Han Solo, mon préféré) et de Carrie Fisher (la princesse Leia), que l'on voit et sur l'affiche et dans les bandes-annonces.

Il n'en fallait pas davantage pour que les fans de la première heure (j'en suis) en concluent que Luke, tiraillé depuis toujours entre le blanc cassé et le noir, sa conception du bien et ses pulsions de vengeance, a sombré depuis son dernier party d'Ewoks du côté obscur de la Force.

Dans leur duel ultime, Vader l'y avait convié. Comme un père proposant à son fils, son MBA (de Jedi) terminé, d'intégrer l'entreprise familiale de portes et fenêtres à titre de vice-président des ventes régionales...

Luke, qui a sauvé son propre père des griffes de l'Empire juste avant sa mort (en dévoilant sous son casque de vilains problèmes d'eczéma et un teint terriblement blafard), aurait-il à son tour viré capot? Le ténébreux Kylo Ren serait-il, sous une couche de polymère thermoplastique, nul autre que... Luke Skywalker? Nooooooooon!

Je connais deux «Star Wars Kids» de 9 et 11 ans qui refusent d'y croire.