Permettez une métaphore automobile. Il y a une différence entre louer et acheter une voiture. Lorsqu'on achète une voiture, on peut en faire ce que l'on veut. La faire repeindre, modifier son moteur ou encore la laisser rouiller jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de la faire rouler.

Lorsqu'on loue une voiture, en revanche, on doit respecter un certain nombre de règles établies par le locateur - remettre, par exemple, la voiture au concessionnaire dans un bon état à la fin du bail - sous peine d'amendes de toutes sortes.

L'animateur du Gala de l'ADISQ, Louis-José Houde, a évoqué dimanche la volonté des radios commerciales de voir les quotas de musique francophone fixés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) baisser de 65% à 35%. Le CRTC s'est montré ouvert, en septembre, à l'assouplissement de ses exigences en matière de contenu francophone; il en sera question lors d'audiences qui se tiendront vraisemblablement au début de 2016.

Pour poursuivre dans la métaphore automobile, disons que les quotas de musique francophone comptent parmi les dispositions fondamentales du contrat de location conclu entre les radios privées et le CRTC, grand «concessionnaire» des ondes télévisuelles et radiophoniques.

Les ondes canadiennes sont publiques. Leur utilisation n'est pas un droit, mais bien un privilège, qui comporte des obligations. On a beau être une radio privée qui engrange des revenus publicitaires, on reste «locataire» des ondes publiques. On ne peut faire tout ce qui nous chante sous prétexte que les affaires vont moins bien.

On ne peut, par exemple, décréter que pour des motifs de transfert d'écoute d'une jeune clientèle vers des radios anglophones, les quotas de musique francophone devraient être revus à la baisse de près de la moitié. Ce n'est pas parce que le prix de l'essence est plus cher que le concessionnaire doit réduire son prix de location...

Certes, il y a au pays une baisse généralisée de l'écoute de la radio commerciale, particulièrement chez les jeunes. En 2014, l'écoute de la radio chez les auditeurs âgés de 25 à 34 ans a diminué de 7,9% dans le marché de langue française à Montréal, tandis que la part d'écoute des stations de langue anglaise par la population francophone a augmenté chez les mêmes auditeurs, en particulier chez les 18-24 ans (une hausse de 11,3% de 2009 à 2014).

L'industrie radiophonique dit vouloir s'adapter aux habitudes changeantes des Québécois, de plus en plus attirés par les plateformes numériques. Elle prétend que les quotas francophones l'empêchent de joindre un jeune public. C'est un refrain qu'elle répète depuis des années - bien avant la montée en popularité des plateformes de musique en ligne.

Il y a une décennie, l'industrie de la radio privée réclamait une baisse des quotas de musique vocale francophone de 65% à 50%. Voilà qu'elle réclame une «plus grande souplesse» du CTRC et fait valoir qu'un quota de 35% est déjà supérieur aux habitudes des consommateurs.

À mon sens, l'industrie radiophonique profite depuis longtemps non seulement de la souplesse, mais aussi des largesses du CRTC. Les quotas de contenu francophone, essentiels à la pérennité de la musique francophone au Québec, ne sont que de 55% à heure de grande écoute (de 6h à 18h la semaine). Ils sont censés, depuis 1990, être de 65% en moyenne chaque semaine.

Or, c'est un secret de Polichinelle que les diffuseurs font tout pour contourner ces règles. Le subterfuge des montages musicaux leur permet de diffuser des extraits de chansons en anglais ne comptant que pour une seule pièce, selon le règlement. Peu importe le nombre de chansons dans l'extrait! Quant aux chansons francophones, elles sont souvent diffusées à des heures où peu de gens sont à l'écoute. Le véritable quota de musique francophone respecté dans les circonstances est bien difficile à établir.

On veut bien protéger l'industrie radiophonique, mais pas au détriment de la langue française, ni du rayonnement de la chanson québécoise. Plutôt que de chercher des pistes de solution et de faire son examen de conscience, la radio privée préfère encore et toujours se plaindre des quotas de musique francophone qui, prétend-elle, n'intéresse pas ses auditeurs. Parmi les dix albums les plus vendus au Québec l'an dernier, sept étaient québécois, selon l'Observatoire de la culture et des communications...

L'industrie de la radio commerciale me fait penser à un parent qui nourrit ses enfants de hamburgers et de hot-dogs parce que cela lui semble plus simple que de leur faire découvrir des légumes et des fruits qu'ils pourraient apprécier s'il s'en donnait la peine. «Mais mes enfants préfèrent les hot-dogs

Laisser l'industrie de la radio commerciale s'autoréguler, en déterminant ce qu'est un quota de musique francophone acceptable, équivaut à laisser aux bons soins de l'industrie de la restauration rapide le choix des groupes du Guide alimentaire canadien: un peu de fruits et de légumes pour la forme, beaucoup de viande rouge et du dessert à quasi-volonté...

On le répète depuis des années: le principal problème de la radio commerciale, c'est qu'elle est frileuse et ne fait pas assez d'efforts pour rendre la musique francophone plus attrayante pour un jeune auditoire. Les mêmes chansons tournent en boucle sur la plupart des chaînes, laissant bien peu de place à l'innovation et à la nouveauté. Est-ce bien normal que ce soit à la CBC - grâce à l'émission de Jim Corcoran, À propos, consacrée à la musique québécoise - que j'entende l'excellente Rosie Valland à la radio?

Je ne prétends pas qu'il est simple de faire face à la concurrence de services numériques tels Spotify, Songza ou Rdio (qui ne sont pas soumis à la même réglementation). Certains assouplissements sont envisageables. Je dis seulement que la radio commerciale francophone ne devrait pas se déresponsabiliser en proposant à son public un contenu - le plus souvent anglophone - qu'il retrouve déjà sur d'autres plateformes.

La radio privée québécoise devrait prendre conscience de son immense privilège. Nous lui louons à peu de frais un char de luxe avec lequel elle fait des profits. Elle pourrait au moins s'assurer de son entretien minimal.