André Melançon était au premier palier de l'escalier du Théâtre Maisonneuve, une canne à la main, au bras de son amoureuse Andrée Lachapelle. Je les avais remarqués au loin. Un couple aussi beau, digne et élégant attire forcément les regards.

Par pudeur, je ne me suis pas arrêté pour les saluer. Je leur ai souri. J'ai écrit, au moment de son hommage à la Soirée des Jutra en mars, toute mon admiration pour le grand cinéaste de l'enfance qu'est André Melançon. Il m'a envoyé un courriel pour me dire qu'il en avait été touché. J'en ai profité pour lui apprendre que la petite-fille de sa compagne était la gardienne de mes enfants.

La guerre des tuques fut le film fétiche de mon enfance, comme pour beaucoup de ma génération. Je me souviens, 30 ans plus tard, de ses répliques les plus célèbres. Pas seulement «La guerre, la guerre, c'est pas une raison pour se faire mal!», mais «T'as de la neige, là», «T'as un trou dans ta mitaine» et autres «Des flancs, des flancs, c'est quoi, ça, des flancs?».

En 1984, j'avais 11 ans. L'âge des personnages du film et de ses principaux acteurs, que j'ai parfois croisés à l'âge adulte: Maripierre (Sophie), devenue directrice des communications dans le milieu du cinéma et de la musique, et Cédric (Luc), professeur d'université qui habitait mon quartier.

Onze ans, c'est aussi l'âge du plus vieux de mes deux fils, avec qui je suis allé voir la version animée du film, mardi, soir de première. «Mais ce sont les garçons que garde Maude!», s'est exclamé André Melançon en apercevant mes enfants. Nous avons parlé de cette belle grande fille timide et brillante qui nous lie, puis André a souhaité avec bienveillance «Bon film!» aux garçons.

«Ils s'appellent André et Andrée?», m'a demandé le plus vieux quand je lui ai expliqué que la mamie de Maude était l'amoureuse du réalisateur de La guerre des tuques, film qu'il avait adoré. Je n'avais pas osé le lui dire devant André, de crainte qu'ils n'en soient tous les deux gênés. J'ai regretté, en prenant place dans la salle, de ne pas lui avoir rendu cet hommage en personne.

J'avoue - comme disent mes garçons - que je suis arrivé à cette première avec des a priori. Je n'aime pas que l'on retouche «mes» classiques. J'observe d'un oeil suspect la multiplication des produits dérivés. Et je ne suis pas dupe de la formidable occasion d'affaires que constitue une nouvelle version de La guerre des tuques au moment où le public cible du film original a 40 ans et des enfants de 10 ans. Le même public cible qui, il y a cinq ans, a acheté des milliers de coffrets DVD de Passe-Partout...

J'étais bien sûr curieux de renouer avec Sophie, Luc, Ti-Guy La Lune et les autres. De revivre par procuration mes premiers émois amoureux préadolescents, de me replonger dans la nostalgie de mon enfance et de savoir ce que mes garçons allaient penser de cette «réinterprétation» en 3D.

«Ça s'appelle La guerre des tuques 3D et c'est en 2D!», s'est désolé le plus jeune, lorsqu'on nous a annoncé que la Place des Arts n'était pas dotée de la technologie adéquate pour ce genre de présentation. Drôle d'idée d'y tenir malgré tout une première, a ajouté mon technophile de 9 ans. En effet...

Heureusement que la qualité de l'animation lui a rapidement fait oublier ce paradoxe. Il a semblé enchanté par le potentiel burlesque de l'animation. Les personnages qui tombent face première dans la neige après une triple boucle piquée involontaire, les flatulences inopinées de la pauvre chienne Cléo, les insolences de la petite soeur de Sophie, une Fifi Brindacier nouveau genre, les élèves de première année «qui ont l'air de gros bébés»...

Les créateurs de cette nouvelle mouture, réalisée par Jean-François Pouliot et François Brisson, ont pris quelques libertés avec le scénario, sans pour autant le dénaturer. Le château fort de neige est plus moderne - mais moins impressionnant que l'original, selon mon jury familial - et le personnage de Luc, plus timide et discret.

«Dans le premier film, Luc était baveux. C'était un vrai chef de gang. C'est lui qui voulait faire la guerre. Il prenait ça au sérieux. Dans le nouveau film, on a l'impression que c'est vraiment juste un jeu», m'a expliqué en sortant mon critique invité de 11 ans, en regrettant le «boss des bécosses» de l'oeuvre originale, plus réaliste et moins politiquement correcte peut-être.

Je craignais que l'on n'ait modifié la fin crève-coeur du film. Elle est intacte.

C'eût été un sacrilège de la sacrifier. La guerre fait toujours des victimes collatérales. «C'est la seule scène que j'ai vue dans un film qui m'a presque fait pleurer. D'habitude, je reste insensible», m'a avoué l'aîné, que je surveillais du coin de l'oeil comme son frère, en retenant mes propres larmes.

Contrairement à Fiston, je suis souvent ému au cinéma. Je l'ai été aussi lorsque, pendant le générique de fin, les interprètes des chansons du film, Fred Pellerin, Marie-Pierre Arthur, Louis-Jean Cormier, Marie-Mai et les autres sont montés sur scène pour chanter L'amour a pris son temps, popularisée jadis par Nathalie Simard et restée pour moi un «plaisir coupable» classique.

André Melançon aussi était ému. Andrée Lachapelle me l'a confirmé, lorsque je les ai croisés en quittant la salle. «Je vous souhaite un bel hiver plein de boules de neige», a-t-il lancé aux garçons après leur avoir demandé s'ils avaient aimé le film. Ils l'ont aimé. «Mais je ne l'aurais pas autant aimé si je n'avais pas vu le premier», m'a confié le plus vieux. Vous avez préféré l'original? leur ai-je demandé en route vers la maison. Oui! ont-ils répondu en choeur, sans hésitation. Ça non plus, je n'ai pas osé vous le dire, André.