Le film s'intitule Er Ist Wieder Da (Look who's back! en version anglaise). Il est inspiré d'un roman de 2013 de Timur Vermes, best-seller en Allemagne, mettant en scène le personnage le plus marquant du XXe siècle. Non, pas Michael Jackson: Adolf Hitler.

À sa troisième semaine à l'affiche, le long métrage de David Wnendt vient de détrôner le plus récent film d'animation de Pixar, Inside Out, au sommet du box-office allemand. Il ne s'agit pas d'un documentaire sur le despote à moustache en brosse à dents, mais bien d'une comédie loufoque dont la prémisse est la suivante: Hitler se réveille à Berlin, devant son bunker transformé en complexe immobilier, après avoir été «congelé» pendant 70 ans.

Le Führer déchu, propulsé malgré lui dans le temps, constate que la Pologne a recouvré son indépendance, que l'Allemagne est désormais multiethnique et qu'elle est dirigée par une femme. Le choc! On pense à Good Bye, Lenin! de Wolfgang Becker, dans lequel Daniel Brühl interprétait un jeune Est-Berlinois tentant de cacher à sa mère communiste, récemment sortie d'un coma, la chute du mur...

La bande-annonce d'Er Ist Wieder Da présente Hitler tentant péniblement d'apprivoiser un ordinateur, vexé que son nom ait été usurpé par un autre Adolf dans la messagerie électronique du bureau (et cherchant «Domination mondiale» dans Google). Il se retrouvera bientôt sur les plateaux de télévision, où il sera félicité pour la crédibilité de son jeu d'acteur, avant d'animer son propre talk-show.

Er Ist Wieder Da, une franche comédie, présente un certain cousinage avec les aventures américaines de Borat (Sacha Baron Cohen). C'est une fiction qui s'inspire de situations réelles, mettant en scène l'Allemand de la rue... face à face avec Adolf Hitler.

Le comédien Oliver Masucci, qui dit avoir pris des selfies grimé en Führer avec environ 25 000 personnes, est notamment allé à la rencontre de jeunes néonazis. «C'est exactement mon genre de démocratie!», répond-il à un militant d'extrême droite qui en appelle à un retour de l'Allemagne à la dictature.

Le film, par sa popularité, semble avoir ranimé une polémique récurrente en Allemagne ces dernières années, à propos de la personnification et de «l'humanisation» d'Adolf Hitler dans des oeuvres de fiction. Un débat semblable avait fait couler beaucoup d'encre au moment de la sortie de La chute d'Oliver Hirschbiegel en 2004, premier film sur Hitler réalisé par un Allemand et mettant en vedette l'inoubliable Bruno Ganz.

Les parodies d'Hitler, détournant des scènes du film, pullulent depuis sur le web. C'est sans compter ces jeunes «youtubeurs» allemands, qui se décrivent eux-mêmes comme des nipsters (la contraction des termes «nazis» et «hipsters»), en tournant en dérision tout ce qui touche de près ou de loin à Hitler, qu'ils dépeignent comme un bouffon maléfique.

Le phénomène «Adolf Hitler superstar» est si répandu que certains se demandent si cette nouvelle culture pop entourant le Führer ne participe pas insidieusement d'une banalisation de la Shoah. Est-ce que l'appropriation satirique des symboles du IIIe Reich est de nature à faire oublier la gravité des atrocités de l'Holocauste?

«Les Allemands devraient pouvoir rire d'Hitler, plutôt que de le percevoir comme un monstre, car cela le déresponsabilise de ses actes et détourne l'attention de sa culpabilité dans l'Holocauste, a déclaré le réalisateur David Wnendt au Guardian de Londres. Mais ce devrait être d'un rire jaune qui vous rend presque honteux!»

Le cinéaste est d'avis que, loin de banaliser Hitler et la Shoah, son film s'attaque à la montée en puissance des mouvements d'extrême droite en Europe - de moins en moins marginaux depuis la crise des migrants - en les ridiculisant et en les mettant devant leurs propres contradictions.

Publier ou non Mein Kampf

Alors que le film de David Wnendt nourrit la polémique, un autre débat fait rage en Europe à propos d'Adolf Hitler: celui autour du bien-fondé de rééditer Mein Kampf (Mon combat), son célèbre manifeste antisémite. Le livre honni de 700 pages, publié en 1927 et écoulé à 12 millions d'exemplaires du vivant d'Hitler, doit tomber dans le domaine public le 31 décembre prochain.

Le brûlot, rédigé en 1923 par Hitler alors qu'il croupissait dans une prison après sa tentative de putsch avortée, pose les jalons du programme politique nazi d'extermination des Juifs d'Europe. Il n'a jamais été republié en Allemagne, où les nombreux exemplaires existants - certains sont présents dans les bibliothèques - n'ont pas pour autant été interdits.

Dès janvier 2016, une édition critique de Mein Kampf de plus de 1500 pages, en préparation depuis 2009, sera publiée par l'Institut d'histoire contemporaine de Munich et offerte en libraire. En Allemagne, où la version anglaise du livre est facilement accessible en version numérique, plusieurs s'interrogent sur l'à-propos de mettre en vente une telle oeuvre de propagande haineuse.

Mein Kampf, auréolé d'une fascination entourant son auteur, est devenu un best-seller lors de sa réédition en Turquie (2005) et en Indonésie (2007). Plusieurs craignent qu'il ait autant de succès en librairie en Allemagne. Car même si l'on a laissé entendre que les profits pourraient être versés à des oeuvres caritatives, le simple fait de commercialiser une oeuvre aussi abjecte suscite bien des questions d'ordre moral.

La controverse entourant la réédition de Mein Kampf a d'ailleurs franchi la frontière allemande jusqu'en France, où les éditions Fayard préparent aussi une édition (française) commentée, inspirée de la version allemande, pour 2016 ou 2017. En début de semaine, le quotidien Libération posait cette question en page frontispice (illustrée d'un Hitler avec un code-barre à la place de la moustache): «Le publier ou pas?»

Pour plusieurs exégètes du Führer, le refus d'autoriser jusqu'à présent la publication d'une version commentée de Mein Kampf a contribué à la «mysthification» du contenu. Ils estiment qu'accepter la réédition de cet «ouvrage indigeste», dont la valeur historique est incontestable, accompagné de notes critiques, témoignerait de la réelle maturité de l'Allemagne, où les écrits de Goebbels et les discours de Hitler sont en vente en librairie.

D'autres, en revanche, restent d'avis que l'attention médiatique inévitable entourant la réédition du manifeste ne pourra que profiter à l'extrême droite allemande et aux groupuscules néonazis. L'Allemagne est-elle prête, non pas à banaliser son sombre passé, mais à le dédramatiser? Elle semble aujourd'hui, à la lumière du succès d'Er Ist Wieder Da, vouloir en rire autant qu'en pleurer.