Il s'agit d'une nouvelle variation sur le thème «C'est la faute aux médias». Mettant en scène cette fois l'écrivain Michel Houellebecq, reconnu pour ses rapports houleux avec la presse française. L'objet du litige: une «enquête» en six parties de la journaliste du quotidien Le Monde Ariane Chemin - intitulée «Six vies de Michel Houellebecq» - à propos de l'écrivain français le plus traduit à l'étranger et le plus «emprunté» dans les bibliothèques de France.

Michel Houellebecq n'a pas seulement refusé de se confier à la journaliste; il a aussi intimé à son cercle élargi d'amis et de connaissances (dont Michel Onfray, Bernard-Henri Lévy et Frédéric Beigbeder) de faire de même. Si bien qu'Ariane Chemin a recueilli des témoignages confidentiels afin de brosser le portrait fascinant d'un artiste insaisissable, polémiste apathique, misanthrope cynique et moraliste réactionnaire, qui serait du reste un tyran oeuvrant sans relâche à se faire passer pour un martyr.

Le week-end dernier, l'écrivain le plus honni et adulé de France était de la première de la saison du talk-show On n'est pas couché (en rediffusion samedi prochain à TV5), afin de faire le point sur la plus récente polémique le concernant. L'occasion de casser du sucre sur le dos des journalistes avec la complicité de son ami et nouveau chroniqueur d'On n'est pas couché, l'écrivain Yann Moix, qui nous fait déjà regretter son prédécesseur Aymeric Caron.

Certes, Houellebecq n'a «violé aucune fillette», comme l'a fait remarquer son ami. Et des questions d'éthique peuvent se poser sur le fait de publier la correspondance privée d'un écrivain récalcitrant, qu'il soit devenu ou non un personnage public. Mais fallait-il pour autant que Houellebecq, dont la réputation de misogyne est de plus en plus difficile à nier, déclare au sujet de la journaliste: «Je sais ce qu'elle fait d'habitude et ça ne peut pas être bon»?

Avec Houellebecq, on n'est pas à une provocation près. C'est son fonds de commerce. Heureusement qu'il a le génie de la forme pour compenser. Une plume aussi brillante que tranchante, sans états d'âme, précise comme un scalpel. C'est ce qui le rend si attrayant. Et c'est la raison pour laquelle on ne cesse de le fréquenter, peu importe ce que l'on pense de ses idées.

Il s'est vendu plus de 600 000 exemplaires de Soumission depuis sa publication, le jour même des attentats contre Charlie Hebdo (dont il faisait la une). Cette coïncidence a certainement nourri la controverse autour de ce roman d'anticipation mettant en scène, en 2022, un gouvernement français islamique qui pousse du jour au lendemain les femmes (désormais voilées) à quitter leur travail et les professeurs à se convertir à l'islam afin d'obtenir des postes dans des universités privées islamiques.

Si certains doutaient encore de ses intentions, l'auteur a été on ne peut plus clair à ce sujet en répondant aux questions de l'animateur Laurent Ruquier et de la chroniqueuse Léa Salamé. Écrirait-il Soumission de la même manière après les attentats de Charlie Hebdo?, lui a demandé la journaliste. «J'écrirais bien pire maintenant», a répondu l'auteur, en traçant un parallèle entre son livre et le nouveau roman de l'Algérien Boualem Sansal, 2084 (La fin du monde), un hommage à Orwell sur fond de totalitarisme islamique.

«Ce qu'il pense probable, c'est la victoire des extrémistes. Peut-être qu'il a raison», dit Houellebecq à propos de Sansal. «Sa vision du futur est très plausible, ajoute-t-il. Nos deux scénarios ne sont pas incompatibles. Ça peut commencer par un régime doux qui va se durcir ensuite.» Et l'animateur Laurent Ruquier de se demander avec justesse s'il ne s'est pas trompé en lisant Soumission au «troisième degré» et en s'amusant de son cynisme.

«Il aurait fallu le lire au premier degré?», demande Ruquier. «Oui, répond Houellebecq. Ça décrit quand même une peur.» À la sortie de son roman, en janvier, l'auteur parlait d'une projection fictive. Le voilà qui reprend à son compte, sans équivoque, le discours alarmiste d'Eric Zemmour (que se sont réapproprié chez nous certains de ses disciples): la théorie du péril islamique, de l'invasion musulmane, du mythe d'Eurabia, etc.

«Tous les reproches qu'on a pu vous faire sur Soumission et d'autres déclarations sur l'islam, d'une certaine manière, vous les validez aujourd'hui!», constate Léa Salamé, qui lui reproche d'avoir modifié son discours. «Je dis ce qui fait peur aux gens, répond-il en souriant. On peut m'accuser d'exploiter une peur: c'est vrai.»

C'est précisément ce qui dérange plusieurs «bien-pensants» de la gauche (j'en suis), que Houellebecq méprise ouvertement. Aussi invitée, l'écrivaine Christine Angot, dont le roman Un amour impossible est l'un des titres les plus remarqués de la rentrée, a d'ailleurs refusé de se retrouver sur le plateau en sa présence. Elle a écrit tout le mal qu'elle pensait de Soumission dans Le Monde en janvier.

Non seulement Michel Houellebecq exploite l'islamophobie, qu'il reconnaît être de plus en plus répandue, mais il la nourrit à dessein en la banalisant. Je l'ai déjà écrit, je le répète: Soumission est une version soft du scénario catastrophe qu'aiment se raconter les islamophobes avant de s'endormir. Si son discours sur l'islam est moins frontal que celui de Plateforme, ce n'est certainement pas la déclaration d'amour islamophile que certains ont bien voulu y voir. Il faut être naïf ou mal connaître Houellebecq et son oeuvre pour l'imaginer.

Houellebecq est fourbe. C'est aussi pour cela qu'il fascine. Soumission est un roman de faux-semblants. C'est aussi un récit qui ne remplit pas ses promesses. Peut-être parce qu'on y sent trop les propres peurs de son auteur? La genèse de ce livre, explique-t-il, découle du constat d'échec de sa propre tentative de «conversion» au catholicisme. On n'a pas de difficulté à croire cet agnostique déclaré.

Selon Houellebecq, l'Occident, incapable de surmonter la perte de ses repères religieux, comblera ce vide grâce à une religion. «Je n'ai pas fini d'exploiter ce thème», dit-il. Quand on veut faire peur au monde...