Toute ressemblance avec des personnes réelles est fortuite. L'avis est implicite dans la satire décapante du vedettariat et de la télévision que propose le dramaturge Larry Tremblay dans Grande écoute. N'empêche...

On pense inévitablement à Guy A. Lepage et à sa manie de serrer la main des spectateurs, à Éric Salvail, toujours sur le mode 220 volts peu importe son invité, et surtout à Denis Lévesque et à ses sujets parfois clownesques en découvrant cette pièce mise en scène par Claude Poissant à Espace GO.

Denis Bernard incarne Roy, animateur de talk-show sans scrupules, habile manipulateur imbu de sa personne, repoussant constamment les frontières du mauvais goût. Il connaît tous les trucs du métier pour soutirer des confidences, faire pleurer, susciter des coups d'éclat. La fausse empathie, les rires forcés, la complaisance obséquieuse, la flagornerie, les silences calculés...

Il se croit tout permis, se convainc de son impunité, aveuglé par l'image luisante que lui renvoie sa célébrité. Mégalomane, narcissique, égocentrique, monstre de vanité, de prétention et de suffisance: certains diront qu'il a toutes les qualités requises pour animer à la télé.

Tu sais qui je suis, ne feins pas de l'ignorer, lance-t-il avec mépris à un serveur qui tolère ses divagations éthyliques dans un bar resté ouvert juste pour lui. Il a l'ego gonflé comme une baudruche par l'importance qu'on lui accorde. On le traite comme un roitelet à qui l'on doit dévotion et déférence. Comme s'il faisait partie d'une caste supérieure du seul fait de sa notoriété. Comme si les règles élémentaires de la décence humaine ne le concernaient pas.

En ondes, il parle en métaphores ridicules. Ses paroles, comme celles de ses invités, sont d'une vacuité absolue. Il interviewe une jeune femme, fille de ministre, auteure d'un livre (Le coeur incombustible) sur le suicide archimédiatisé de sa mère par immolation. «Votre livre a été traduit en douze langues», dit-il. «Quinze!», corrige-t-elle, avant d'accepter la diffusion d'images exclusives du suicide, devant un centre commercial chic.

Roy est obsédé par ses cotes d'écoute, comme si sa vie - et celle d'autres - en dépendait. «Je ne supporte plus ma gloire!», dit-il, non seulement sérieux, mais sincère. Il est odieux, prêt à mettre en scène les malheurs de sa propre famille afin de favoriser sa carrière. Victime de son époque, de l'appétit insatiable du public pour le potin, le sordide, le human interest, par tout ce qui intéresse le voyeur sommeillant en chacun de nous.

«Il y a un trou dans mon image, c'est clair, dit Roy, lucide. Le trou, c'est ce qui attire le public. C'est ce qui rend la vedette attirante. C'est ce qui fait qu'on lui prête des pouvoirs, des qualités, des secrets, des vices cachés et des crimes parfois.»

Le texte de Larry Tremblay est d'un cynisme noir de noir. L'auteur de L'orangeraie, formidable roman paru en 2013, observe avec le même regard dénué de complaisance la télévision, la célébrité et le couple, où les vraies choses se disent, à l'abri des caméras. Où les fleurs que l'on offre à dessein, pour amadouer et arriver à ses fins, ne sont pas accueillies avec la même hypocrisie convenue que sur un plateau de télévision.

La caricature absurde que fait Larry Tremblay des médias est si près de la réalité que c'en est triste. Elle renvoie à ces gens célébrés parce qu'ils sont célèbres, et à ces entrevues d'une complaisance ahurissante, avec des vedettes insignifiantes au parcours médiocre, que l'on étire sur certaines chaînes.

À l'automne, une candidate de l'émission de téléréalité Occupation double a publié son autobiographie. Il y a deux semaines, l'émission de Denis Lévesque s'est intéressée à l'histoire d'un bébé attaqué par un rat. Cette semaine, un jeune homme de la Colombie-Britannique a diffusé sur YouTube une vidéo en forme d'égoportrait, tournée dans la foulée d'un accident où il a subi de multiples fractures, pendant que des secouristes sciaient la voiture dans laquelle il était emprisonné.

On en est là. On n'a même plus besoin de chaînes comme TLC ou Canal Vie pour se délecter de la misère et de la détresse des gens. Ils l'exploitent eux-mêmes. Chacun est devenu l'animateur et le diffuseur de sa propre émission trash, grâce à la mise en scène moderne de la vie que permettent les réseaux sociaux et un téléphone plus intelligent que la moyenne.

La pièce de Larry Tremblay n'est pas qu'une critique féroce du milieu de la télévision, des dérives narcissiques qu'il provoque et des ego qu'il nourrit sans fin. Elle n'est pas seulement un doigt accusateur dressé vers ces animateurs et pseudo-journalistes qui s'intéressent moins aux contenus qu'à leurs propres marques (quand ils n'en représentent pas d'autres). «Je t'ai acheté», dit un ex-sans-abri devenu multimillionnaire invité sur le plateau de Roy. Et voilà l'animateur pris à son propre jeu.

Personne n'est épargné par Larry Tremblay, dont la pièce se termine dans le malaise silencieux d'un cynisme sans appel. Ni le milieu de la télé, complice de la dictature des cotes d'écoute, ni les spectateurs, qui font des talk-shows racoleurs des succès populaires, ni l'auteur lui-même, qui, comme téléspectateur, refuse de s'exclure du lot.

En écoutant les questions que pose Roy à certains de ses invités, je me suis reconnu, moi aussi. Dans son intention de leur faire parler d'autre chose que de leur art. «L'objet disparaît des ondes et on parle du sujet tout le temps», disait Larry Tremblay la semaine dernière à ma collègue Chantal Guy, en parlant du rapport des médias aux artistes et à leurs oeuvres. C'est l'idée maîtresse de sa pièce, et matière à réflexion pour ma semaine de relâche.