Birdman a gagné, l'animateur Neil Patrick Harris s'est trouvé comique, la soirée des Oscars a été encore plus ennuyeuse que d'habitude (ce qui n'est pas peu dire): bref, il n'y avait pas de quoi soulever un tollé dimanche soir.

Lundi, faute de victoires contestables d'oeuvres aussi peu mémorables qu'Argo ou The King's Speech à se mettre sous la dent, les médias semblaient chercher une controverse à ruminer. Ils l'ont trouvée.

Ce ne fut pas, comme certains semblaient l'espérer, la présentation bizarre par Sean Penn du cinéaste Alejandro G. Iñárritu au moment d'annoncer le lauréat de l'Oscar du meilleur film. «Qui a donné à ce fils de pute sa carte verte?», a ironisé le comédien de 21 Grams.

Ce ne fut pas la pire blague de la soirée - la compétition était forte - et le cinéaste mexicain, ami de Penn, a laissé entendre en point de presse qu'il n'avait pas du tout été vexé par cette remarque «hilarante». Fin de la controverse.

Il a été fait grand cas, au cours des semaines menant à la cérémonie, du manque de diversité de cette soirée des Oscars. Il est vrai que la vieillissante Académie des arts et des sciences du cinéma est à forte majorité blanche, hétérosexuelle et masculine. Mais il est aussi vrai qu'il n'y avait pas d'oeuvre aussi forte que 12 Years a Slave en 2014 pour justifier davantage de sélections dites «issues de la diversité».

Le problème, en l'occurrence, se trouve plus en amont qu'en aval. On ne rend service ni aux femmes ni aux Noirs à prendre la place qu'ils méritent dans le microcosme hollywoodien en étant complaisant avec un long métrage comme Selma. Le sujet fort de ce film - le droit de vote des Noirs à l'époque de Martin Luther King Jr. - méritait un traitement beaucoup plus original que celui, en tous points banal, de la réalisatrice Ava DuVernay.

La controverse n'est pas venue de la cérémonie elle-même, ni de ce qui l'a précédée, mais des coulisses. La lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice dans un rôle de soutien, Patricia Arquette, a offert l'un des moments le plus marquants de soirée grâce à son plaidoyer en faveur de l'équité salariale. «Il est temps d'avoir l'équité salariale une fois pour toutes et l'égalité des droits pour les femmes aux États-Unis!», a-t-elle déclaré.

Dans la salle, Meryl Streep et Jennifer Lopez ont bondi de leur siège. J'ai failli faire de même dans mon salon. Ce ne fut pas le cas de tous et de toutes... Dans la salle de presse, après avoir obtenu son prix, Patricia Arquette a ajouté qu'il était «inexcusable» que les Américains s'inquiètent des droits des femmes partout dans le monde, mais pas chez eux.

«Il est temps que toutes les femmes d'Amérique, et tous les hommes qui les aiment, et tous les gais, et toutes les personnes de couleur pour qui nous nous sommes battus, se battent désormais pour nous», a-t-elle répondu à un journaliste qui lui demandait de préciser sa pensée.

Il aurait sans doute fallu qu'elle la précise davantage. Reprise sur les médias sociaux, la déclaration a provoqué un tollé. Plusieurs ont accusé l'actrice de tenir un discours contreproductif qui perpétue les stéréotypes sur les féministes. On peut évidemment être noir ou homosexuel, féministe et militer pour l'équité salariale. L'un n'empêche heureusement pas l'autre.

M'est avis que Patricia Arquette, sous le coup de l'émotion, n'a pas assez réfléchi à la portée de ses paroles. Probablement a-t-elle voulu dire que le combat pour l'équité salariale est aussi important et légitime que celui des droits des Noirs et des homosexuels aux États-Unis. De toute évidence, ces combats ne sont pas terminés, ce que plusieurs se sont permis de lui rappeler le lendemain - certains plus gentiment que d'autres -, exemples à l'appui.

La comédienne, magnifique dans le rôle d'une mère de famille monoparentale qui en arrache dans Boyhood, s'est défendue lundi après-midi d'avoir voulu exclure qui que ce soit de son combat. Sur Twitter, elle a rappelé qu'elle était engagée depuis des années en faveur du mouvement LGBT (lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres) et que l'équité salariale concernait TOUTES les femmes, en particulier les femmes noires, qui «paient en quelque sorte un impôt sur le genre depuis des générations».

Parmi les détracteurs de Patricia Arquette, certains ont conseillé à l'actrice de s'en tenir à son texte à l'avenir, et de ne plus s'écarter de son scénario. C'est paradoxal, au lendemain d'une soirée des Oscars sauvée de l'ennui abyssal par des discours de remerciement à saveur sociopolitique.

Faut-il, parce qu'elle a été maladroite, reprocher à Patricia Arquette d'avoir profité d'une tribune exceptionnelle pour dire autre chose que les habituelles banalités? Faudrait-il que les lauréats d'un Oscar s'abstiennent désormais de tout commentaire politique?

Je ne dis pas qu'un discours comme le sien ne mérite pas d'être critiqué. Je prétends en revanche que le risque est plus grand, après de telles controverses, que des artistes s'autocensurent de crainte d'être mal interprétés ou critiqués. Et qu'ils ne s'en tiennent plus, comme certains l'ont suggéré, qu'à des discours calibrés et supervisés par des spécialistes de relations publiques.

Est-ce bien ce que nous souhaitons? Que les artistes qui ont des antennes, une sensibilité et un regard uniques sur la société ne disent plus rien, sinon pour remercier dans un gala le bon Dieu, leur famille, leur chien, leur gardienne et leur comptable?

Patricia Arquette a voulu amorcer un débat, éveiller des consciences, participer à une conversation. L'essence de son message n'est pas que certains combats méritent plus d'attention que d'autres, mais que les femmes méritent d'être aussi bien rémunérées que les hommes pour un même travail.

Mon garçon de 8 ans m'a demandé dimanche ce que signifiait «être féministe». C'est être en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes, lui ai-je répondu. «Est-ce que moi aussi, je suis féministe, papa?» Peut-être que d'autres, grâce à Patricia Arquette, se poseront aussi la question.