René-Daniel Dubois parle fort. Il parle vite. Quand il s'emballe, son visage s'empourpre autour de ses yeux exorbités. On ne s'étonne pas qu'il soit abonné aux coups de sang.

Dramaturge, acteur, romancier, metteur en scène, intellectuel, Dubois porte, dans sa manière de s'exprimer, dans son discours souvent excessif, une charge qui dérange, irrite et détonne dans le paysage artistique québécois.

RDD a le sens de la formule. Peut-être trop pour son propre bien. S'il prétend avoir rangé son tablier de polémiste depuis un passage un peu trop remarqué à Tout le monde en parle (avec Philippe Couillard en 2008), il ne peut s'empêcher de balancer de temps à autre un nouveau pavé dans la mare.

Dans le plus récent programme du Théâtre du Nouveau Monde, dont la saison s'ouvre ce soir avec une reprise de Being at Home with Claude, sa pièce maîtresse (dans une mise en scène de Frédéric Blanchette), Dubois dit ceci: «Quand je considère l'activité théâtrale au Québec en ce moment, j'ai l'impression de visiter le village fantôme de Val-Jalbert; il ne reste que des ruines du dynamisme théâtral et de son impact social d'il y a 30 ans.»

Après moi, le déluge. Un village fantôme, des ruines. On lit le verdict sans appel de Dubois et on pense à ses camarades, qu'il accuse d'avoir «perdu le sacré». «Cette indifférence de la société a affecté les artistes qui n'ont plus de considération pour ce qu'ils font», dit-il.

C'est gentil pour la relève qui bouillonne en marge, loin des théâtres institutionnels. C'est flatteur pour ceux qui présentent des pièces au TNM cette saison. Et c'est inspirant pour les spectateurs. Imaginez la carte de visite: venez voir notre village que tout le monde a déserté et dont nous nous foutons éperdument. Ça donne envie de s'abonner...

RDD, qui a délaissé la dramaturgie il y a quelques années et fréquente peu les salles de son propre aveu, qualifie son rapport au théâtre de «mort». Cela m'a rappelé une autre de ses formules lapidaires. «Ce pays est mort. Mort d'épuisement, de folie et de mensonge», avait-il écrit dans nos pages, le 11 septembre 2001, dans une de ses nombreuses dénonciations du nationalisme québécois. Quand on a le sens du timing...

Interrogé sur ses déclarations par mon collègue Jean Siag, Dubois a tempéré ses élans. Il ne s'attaque pas au talent des créateurs, dit-il, mais à une apathie généralisée de notre société, indifférente sinon réfractaire à l'art. «Pourquoi cette société «haït» autant l'art?» demande-t-il.

René-Daniel Dubois n'a jamais eu peur de l'hyperbole. Le coup de gueule et la nuance ne font souvent pas bon ménage. L'auteur a manifestement souffert d'avoir été marginalisé, notamment parce qu'il n'a pas embrassé, comme d'autres artistes et intellectuels, le projet indépendantiste québécois.

Il s'est campé en dissident, parfois en martyr. Son discours est teinté d'une amertume qui accentue à mon sens sa condescendance (assez claire lorsqu'il emprunte un accent «provincial» pour dénoncer l'anti-intellectualisme québécois). Le Québec est pour lui une société qui se réclame beaucoup de la culture, mais n'apprécie pas la beauté.

Il a certainement raison lorsqu'il déclare que les gens veulent bien défendre le principe de la culture au Québec, mais concluent rapidement que les coûts sont trop élevés. Ce qui explique notamment qu'il n'y a plus d'émission culturelle à la télévision de Radio-Canada.

Dubois s'inquiète du peu de cas que l'on fait du théâtre, qui n'a «plus aucun écho», selon lui. Il se défend d'être nostalgique, mais évoque une époque, celle de son apogée comme dramaturge, où le théâtre était un «lieu de rencontre pour la société». Où l'on entrait dans les cafés et l'on surprenait deux ou trois conversations «de gens ordinaires» sur les pièces du moment. Où le théâtre faisait partie du quotidien.

S'il est vrai que dans les années 80, on pouvait voir du théâtre à la télévision publique - ou les matchs de la Ligue nationale d'improvisation des Robert Gravel et Robert Lepage à «l'autre télévision» -, je me demande si Dubois ne nourrit pas une vision romantique du passé.

Le théâtre québécois est-il vraiment plus élitiste, confidentiel, désincarné qu'il y a 30 ans? Est-il passé d'un statut d'art démocratisé (comme il l'est en France par exemple) à celui d'art oublié? Peut-être que RDD participait plus activement à l'époque à la «conversation».

«Dans 35 ans, il y aura des comédies musicales, de la danse à claquettes, du cirque en masse, mais du théâtre de création, non», dit-il. Son constat est pour le moins pessimiste. Tout n'est pas rose dans le milieu du théâtre québécois, tant s'en faut. Les conditions de création ne sont pas simples. De là à conclure qu'il ne reste que des ruines d'un âge d'or révolu...