C'était une belle soirée tranquille. Ciel dégagé, 26 degrés, petit vent doux. On entendait le chant de grillons autour de la place des Festivals. Une ambiance de ville en suspens, figée dans le temps. Sage comme une image.

Il y avait une foule respectable et silencieuse à l'Esplanade de la Place des Arts, lundi, pour voir un film sans dialogues d'Ettore Scola, Le bal (1983), dans la série des projections à la belle étoile du Festival des films du monde.

Les bancs étaient occupés, les marches des escaliers étaient bien remplies (contrairement aux sièges des projections du matin à l'Impérial). On ne se marchait pas sur les pieds, mais il y avait bien quelques centaines de spectateurs sur place. Sauf que...

Le bal n'était pas sitôt commencé que l'écran gonflable sur lequel il était projeté s'est dégonflé soudainement, pendant que Charles Aznavour chantait Les plaisirs démodés. Cruelle ironie.

L'écran a d'abord commencé par perdre lentement du tonus, comme les personnages du film, puis il s'est divisé en deux sortes de pyramides formant un grand «M» flétri, avant de devenir une masse informe de caoutchouc déposée sur le parvis du Musée d'art contemporain.

Un technicien a eu la présence d'esprit d'appuyer sur la barre d'espacement de son ordinateur portable afin de stopper la projection (on voyait le menu à l'écran), pendant que ses collègues tentaient de colmater la brèche ou de remettre en marche la pompe. Les rires fusaient de toutes parts. Je me suis souvenu que j'assistais au «seul festival de catégorie A en Amérique du Nord» (dixit son président Serge Losique).

Quelle métaphore éloquente, m'a fait remarquer un ami, de la déliquescence d'un festival qui peine à survivre, et pas seulement depuis que les institutions gouvernementales lui ont coupé les vivres. Heureusement, personne n'a été blessé, l'écran a été regonflé et les spectateurs ne se sont pour la plupart pas dégonflés (s'cusez-la).

«Comment l'écran peut-il se dégonfler?», a demandé une spectatrice en riant. J'ai imaginé une fuite lente et constante, comme l'agonie du FFM. À moins que l'un des nombreux détracteurs de Serge Losique - l'homme ne s'est pas fait que des amis - ait eu l'idée de planter une aiguille dans l'écran, pour saboter la projection.

Ils sont plusieurs ces jours-ci, semble-t-il, à rôder autour du FFM, en épiant les gestes du condamné à mort (qui refuse obstinément de mourir). Qui prendra sa place? Qui sera désigné pour assurer la relève?

Ce Festival que tout le milieu du cinéma ou presque souhaite renouvelé, revampé, voire remplacé depuis des années, pourrait fort bien survivre, aux mêmes dates, peut-être même sous la même bannière, avec le peu d'acquis qui lui reste - un petit noyau de fidèles spectateurs, plusieurs contacts asiatiques -, mais sous la gouverne d'une «nouvelle administration».

La directrice générale Danièle Cauchard a déjà signifié qu'elle en était à son dernier tour de piste, et de nouveaux dirigeants pourraient à la rigueur être convaincus d'accepter, pour services rendus à la cinéphilie, la présence de Serge Losique à titre de président fantoche ou honorifique.

Il faudrait être naïf pour croire que Serge Losique abandonnera la partie aussi facilement. Il est toujours là, contre vents et marées, sans soutien ou presque. Sa ténacité force l'admiration. Lorsqu'on a l'impression qu'il a joué sa dernière carte, il en sort une autre de sa manche. Il ne semble jamais à bout de ressources, de contacts ni de volonté. Ses véritables alliés sont indéfectibles.

Malgré l'évidence d'un événement moribond, manifestement sur le déclin depuis près de deux décennies, M. Losique réussit toujours à convaincre des gens influents du bien-fondé de maintenir le FFM en vie, même sous respirateur artificiel. C'est ainsi que Bernard Landry, alors qu'il était premier ministre, a volé au secours du festival au début des années 2000, malgré l'avis contraire de sa ministre de la Culture de l'époque.

Certains réclament encore sans rire «une dernière chance» pour le FFM. Ce sera bien la dixième «dernière chance». Le Festival des films du monde est cet enfant à qui l'on a dit 15 fois de faire le ménage de sa chambre sous peine de «conséquences», sans jamais sévir. Croire qu'il le fera de son propre gré relève de la pensée magique.

Que faire du bordel? Plusieurs évoquent des ententes, des accords, des partenariats avec des festivals qui, contrairement au FFM, ont réussi à se renouveler, même si tout n'est pas rose pour eux non plus.

Le Festival du nouveau cinéma, les Rencontres internationales du documentaire de Montréal, le Festival international du film sur l'art, Cinémania, Fantasia sont autant d'événements dynamiques qui auraient peut-être, d'une manière ou d'une autre, intérêt à unir certaines de leurs forces pour offrir aux Montréalais le festival de cinéma généraliste qu'ils méritent.

On verra pour la manière, mais il est grand temps d'agir. Avant qu'il ne soit trop tard pour regonfler l'écran.