C'est le mensonge qui nous intéresse dans l'histoire de Geneviève Jeanson. Comment elle a pu duper tout le monde en se dopant. Et déclarer, avec autant d'aplomb, devant un auditoire sceptique, qu'elle n'avait «jamais pris de l'EPO». Championne cycliste, championne tricheuse. Air connu.

Le mensonge est le moteur de La petite reine, long métrage d'Alexis Durand-Brault (Ma fille, mon ange), à l'affiche vendredi. Laurence Leboeuf y interprète avec beaucoup de conviction, et juste ce qu'il faut de nuance, le rôle de Geneviève Jeanson (devenue Julie Arseneau pour les besoins de cette oeuvre de fiction «inspirée de la réalité»).

Le film d'Alexis Durand Brault, scénarisé par Sophie Lorain et Catherine Léger, s'intéresse non seulement à la célèbre cycliste déchue, mais à ceux qui savaient, à ceux qui se doutaient et à ceux qui, par aveuglement volontaire, ne voulaient pas trop en savoir sur son secret. À commencer par ses propres parents (Denis Bouchard et Josée Deschênes, dans des rôles un peu trop caricaturaux), vivant par procuration la gloire sportive de leur fille surdouée.

La petite reine n'est pas une grande oeuvre cinématographique, tant s'en faut. Sa mise en scène plutôt convenue a trop souvent des airs de téléfilm et son scénario linéaire épouse le carcan typique de la majorité des biopics américains. Le drame sportif prend parfois le pas sur le drame tout court. Si bien que l'on perd un peu de vue, au final, par faute de trop avoir cédé à la tentation du crescendo, l'essence de l'intrigue (oui, le mensonge, on y revient inévitablement).

La petite reine, qui traite d'un sujet fascinant, parvient toutefois à nous faire ressentir les démons intérieurs qui tenaillaient Geneviève Jeanson, exacerbés par la relation malsaine qu'elle entretenait avec son entraîneur.

Patrice Robitaille est d'ailleurs très convaincant en pygmalion manipulateur et intimidateur, qui use de terreur physique et psychologique pour dominer sa «protégée», la poussant dans ses derniers retranchements, la motivant à se dépasser constamment, au-delà même des limites de son corps.

La tension entre l'entraîneur et l'athlète, notamment dans la séquence d'ouverture, donne le ton à l'ensemble de ce film, qui explore avec doigté les zones d'ombre de Jeanson/Arseneau, mais qui perd malheureusement de son tonus dès qu'il s'éloigne un peu de son personnage principal.

Autant la relation d'amour-haine entre Arseneau et son entraîneur est crédible, autant le jeu inégal et les partitions plus maigres de certains personnages secondaires nuisent à l'ensemble de l'oeuvre. La psychologie de groupe de l'équipe Vita (et non Rona) se résume trop souvent à une série de lieux communs et de clichés.

Je ne connais pas grand-chose au cyclisme. Un ami aficionado me disait hier, en sortant de la projection, que les courses du film sont peu crédibles. L'oeil non averti, comme le mien, ne le remarquera sans doute pas. Les coureuses ont l'air de souffrir autant à grimper le mont Royal que pendant la Flèche wallonne, considérée comme l'une des épreuves les plus difficiles de la Coupe du monde féminine.

Dans une autre vie, j'ai tout de même été journaliste aux Sports - j'ai notamment couvert une Coupe du monde de soccer - et j'ai eu à côtoyer brièvement les coqueluches québécoises du cyclisme de la fin des années 90. Assez pour trouver que la rivalité de l'époque, entre Lyne Bessette et Geneviève Jeanson, aurait pu être plus subtilement exploitée à l'écran...

Alexis Durand-Brault réussit habilement à démontrer à quel point la championne était isolée du reste de son groupe, sous le joug de son entraîneur, habile pour tirer le meilleur d'elle au détriment de tout le reste. Mais j'aurais souhaité davantage de finesse dans l'illustration de la psychologie sportive, surtout dans une discipline comme le cyclisme où l'équipe doit se mettre au service de celui ou celle qui a le plus de chance de réussir.

Beaucoup de choses sont dites, expliquées, explicitées dans La petite reine, afin que le non-initié ait les outils nécessaires pour bien comprendre l'intrigue. Cela se fait forcément au détriment d'une certaine poésie, absente de ce film mené presque comme un thriller (avec une scène de douche superflue, à grand renfort de musique appuyée). D'où cette impression d'une oeuvre télévisuelle qui entraîne le spectateur par la main.

La petite reine reste un film efficace. Grâce à cette tension soutenue et grâce à la capacité de Laurence Leboeuf de transmettre par son seul regard son désarroi, son désespoir, son essoufflement, sa panique, son envie de tout arrêter, de tout confier, d'enfin lever le voile sur la vérité.

Une petite reine prisonnière de son propre mensonge, maintenue dans le cycle du dopage par son entourage, plus ou moins complice. Condamnée à gagner à tout prix, pour contenter son entraîneur et amant, son père qui l'a sacrifiée sur l'autel de la performance, son commanditaire généreux et omniprésent, le Québec tout entier, si fier et entiché de ses champions. Au point de ne pas remarquer, parfois, qu'ils s'en rendent malades.