Personne n'est à l'abri du chauvinisme. À la conférence de presse du jury, il y a une semaine, dans la foulée de l'annonce du palmarès du Festival de Cannes, il fallait entendre les questions tendancieuses de certains journalistes.

«Pourquoi avez-vous écarté le film japonais du palmarès?», a demandé un journaliste japonais à la présidente du jury, Jane Campion. «Trouvez-vous qu'un film chinois aurait dû avoir sa place en compétition?», a demandé un journaliste chinois au juré chinois Jia Zhangke. «Avez-vous envisagé la Palme d'or pour Xavier Dolan?», a à son tour demandé un journaliste canadien.

Dans les pronostics des journalistes, avant le dévoilement du palmarès, la presse britannique donnait gagnant Mr Turner du Britannique Mike Leigh, à propos d'un peintre britannique (interprété par le Britannique Timothy Spall, lauréat du prix d'interprétation). Et la presse française, Deux jours, une nuit des frères Dardenne, mettant en vedette l'actrice française Marion Cotillard. (Oui, je sais, les frères Dardenne sont Belges, mais ils sont francophones.)

J'ai écrit à la fin de cette chronique, il y a une semaine, que malgré toutes les qualités de Mommy, malgré ses moments de pure innovation cinématographique, d'audace et d'émotion brute, je remettrais personnellement la Palme d'or à Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan (qui deviendrait le lauréat).

J'ai aussitôt reçu quelques courriels de bêtises - j'en ai l'habitude - de la part de lecteurs me reprochant mon manque de solidarité, de patriotisme, et quoi encore. Des lecteurs, je le précise, qui n'avaient pas vu un seul film de la compétition cannoise, à commencer par Mommy...

Leur réaction courroucée m'a rappelé celle de certains qui s'étaient indignés publiquement en 2003 que les «acteurs inconnus d'un film turc» obtiennent le prix d'interprétation à Cannes, plutôt que Rémy Girard dans Les invasions barbares de Denys Arcand. Vous imaginez: un film turc! Ironiquement, c'est le même Turc que cette année (Nuri Bilge Ceylan) qui avait remporté le Grand Prix du jury à l'époque et permis à ses acteurs de recevoir le prix d'interprétation masculine pour Uzak.

J'ai observé à distance, avec une certaine fascination, la réaction québécoise à l'aventure cannoise de Xavier Dolan. Une réaction de solidarité spontanée, forcément sympathique. D'espoir tout à fait compréhensible, pour lui, pour nous, pour la consécration de notre cinéma.

Cet élan avait aussi quelque chose d'absurde dans ses débordements. Certains parmi les plus grands détracteurs de Dolan se sont soudainement drapés de fierté fleurdelysée pour réclamer la Palme pour l'enfant du pays. On y croit. Il va l'avoir. Et tant pis pour les pisse-vinaigre de votre acabit, M. Cassivi! On me l'a écrit...

C'est tout juste si on n'a pas déclaré que cette Palme, remise à un film que l'on n'avait pas vu, plutôt qu'à cet autre film que l'on n'avait pas vu, était le fruit d'une pure injustice. Fascinant.

Dans ma boîte de courriels, quand je ne subissais pas les doléances du nouveau fan-club éphémère de Dolan, au nationalisme exacerbé par l'espoir quasi anéanti d'une conquête de la Coupe Stanley, c'était la charge des zélotes d'une droite incapable d'envisager l'art autrement que sous l'angle de la rentabilité et des subventions.

Je sais, je sais, on est bien las de ceux-là. Mais ils existent, ils animent des émissions de radio, dirigent même de grandes chaînes de dépanneurs, et ils sont loin d'être seuls. Ils ont d'ailleurs été plusieurs à me rappeler qu'ils n'avaient pas vu ou pas aimé les précédents films de Xavier Dolan et se fichaient éperdument de son succès à l'étranger. Qu'est-ce que ça peut bien nous faire, nous, le vrai monde qui regarde les films dont on se fout qui est l'auteur?

Dans les témoignages de plusieurs, on trouvait, en filigrane, cette suggestion: que le succès de Mommy et de Xavier Dolan à Cannes avait été d'une manière ou d'une autre orchestré ou monté en épingle par les médias québécois.

J'ai assisté à la première très courue du film de l'acteur Ryan Gosling, la veille de la présentation officielle de Mommy à Cannes. Lost River, un mauvais pastiche de David Lynch aux fortes influences de Nicolas Winding Refn, confirme que le beau Ryan ne devrait pas lâcher son job de jour. C'est vrai qu'il y avait dans ma rangée des femmes à l'allure pourtant respectable ayant perdu toute contenance, qui lui lançaient des «I love you!» en le photographiant avec leur téléphone.

Ce n'était rien, je vous assure, en comparaison de la déferlante d'émotion et d'affection de la première de Mommy. L'ovation, à la fin de la projection, n'a pas seulement duré 13 minutes (j'ai personnellement tenu le chrono), mais elle a été ponctuée de pleurs et de cris de spectateurs profondément touchés par le film de Xavier Dolan.

N'en déplaise à certains, le phénomène Dolan n'est pas une création médiatique québécoise. Il n'a certainement pas la notoriété ni le pouvoir d'attraction de Ryan Gosling, mais il a un statut, en France, que l'on semble mesurer difficilement au Québec, où il n'est pas une vedette au même titre qu'Anne Dorval ou Patrick Huard (qui a un petit rôle dans le film). Au Québec, Dolan fait surtout du doublage. Au même titre que les soeurs Dufour-Lapointe...

Est-ce que les médias québécois ont trop épilogué sur son aventure cannoise? Ils ont certainement couvert sa présence en long et en large sur la Croisette (moi le premier). Parce que c'était une histoire digne de mention.

Depuis 1992, il était le troisième cinéaste québécois seulement à concourir pour la Palme d'or. Un prix, comparé par plusieurs à la médaille d'or olympique, que l'on ne remporte pas par vote populaire, comme à La voix ou à Star Académie. Et qui ne perd surtout pas de son lustre parce qu'il a été gagné par un Turc.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca