C'était écrit dans le ciel qu'un jour, Xavier Dolan concourrait pour la Palme d'or. Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, l'avait dans sa ligne de mire depuis « l'événement » J'ai tué ma mère, en 2009, à la Quinzaine des réalisateurs.

À l'époque, Frémaux, toujours à l'affût des talents émergents, lui avait dit  « À bientôt ». Dès l'année suivante, il avait tenu promesse et fait de Dolan un membre à part entière de la famille cannoise, retenant Les amours imaginaires en sélection officielle, dans la section Un certain regard.

Je me souviens de cette image forte de Frémaux et Dolan sur le tapis rouge, figure paternelle accueillant son fils adoptif au sommet des marches du Palais des Festivals pour lui faire l'accolade.

Après une entrée en scène fulgurante sur la Croisette et un adoubement quasi immédiat en sélection officielle, le jeune prodige québécois, impatient et impétueux, avait dû ronger son frein hors du cadre de la compétition quand Laurence Anyways, son film le plus ambitieux, avait lui aussi abouti à Un certain regard, sorte d'antichambre de la compétition, en 2011.

Dolan, qui ne manque pas de culot, avait osé une fronde en déclarant aux médias être déçu que son film ne soit pas retenu en compétition. On n'ose pas d'ordinaire dire ce genre de chose. Le coup de gueule avait porté ses fruits, une compétition plus faible faisant dire à certains observateurs influents que Laurence Anyways y méritait sa place.

Il a du cran, Xavier Dolan. Il ne craint pas les paris risqués. Même celui de « snober » d'une certaine façon Cannes, où il est né comme cinéaste, l'an dernier, pour tester ailleurs sa valeur sur le marché des festivals.

La Mostra de Venise, qui lui faisait déjà de l'oeil à l'époque de Laurence Anyways, a accueilli avec enthousiasme Tom à la ferme en compétition, l'automne dernier. Le premier film québécois à concourir pour le Lion d'or depuis À corps perdu de Léa Pool 25 ans plus tôt est revenu d'Italie auréolé du prix de la presse internationale.

Il est allé se faire voir ailleurs. Voilà que l'enfant prodigue revient au bercail. Et par la plus grande des portes. Thierry Frémaux l'a confirmé jeudi: Xavier Dolan sera de la compétition du prochain Festival de Cannes, qui se déroulera du 14 au 25 mai. Le délégué général parle d'un « film plus mature », pour qualifier sa sélection. Remarque chargée de sens de la part d'un père qui renoue avec son fils.

LOT DE RISQUES

Le Québec aussi renoue avec la compétition cannoise. La dernière fois qu'un film québécois a été retenu en compétition officielle du plus prestigieux des festivals de films (en 2003, pour Les invasions barbares de Denys Arcand), Xavier Dolan avait 14 ans. Il en a aujourd'hui à peine 25. Et de l'ambition pour 10.

Mommy, le cinquième long métrage de Dolan en six ans, met en scène ses actrices fétiches, Anne Dorval et Suzanne Clément, toutes deux de la distribution de J'ai tué ma mère, qui avait remporté trois prix à la Quinzaine des réalisateurs, une section parallèle du Festival. Deux comédiennes que le cinéaste aura, avec grand bonheur, l'occasion de mettre en valeur devant toute la presse internationale réunie à Cannes le mois prochain.

Concourir pour la Palme d'or est certes un honneur. Mais soumettre son oeuvre au jugement, parfois très sévère, des critiques comporte son lot de risques. Alors que les sections parallèles ne sont suivies que par certains journalistes, la compétition, scrutée à la loupe, attire l'attention de tous les grands médias. Qui ne sont pas toujours tendres.

Le cinéma de Xavier Dolan, fait d'audaces et de fulgurances, est tout sauf consensuel. Mommy, de l'aveu même de Thierry Frémaux, semble taillé sur mesure pour diviser les festivaliers. Un film à l'image de la démesure des ambitions de son auteur.

UN TALENT PRODIGIEUX

Le connaissant, on soupçonne Dolan de rêver secrètement de devenir le plus jeune lauréat de la Palme d'or de l'histoire du Festival de Cannes, devant Steven Soderbergh (plébiscité par le jury présidé par Wim Wenders à 26 ans grâce à Sex, Lies and Videotape). Des rêves de « tête enflée », comme le prétendent ses détracteurs?

Xavier Dolan a toutes les raisons de rêver à ce qui semble le plus inaccessible. Il a une audace qui force l'admiration. Il n'attend l'aval de personne. Ses deux premiers films ont été réalisés à compte d'auteur ou presque, à 19 et 20 ans. Il a investi toutes ses économies, les cachets de doublage de son enfance et de son adolescence comme acteur, dans J'ai tué ma mère, un scénario qu'il a écrit à 17 ans. Il a réinvesti l'argent des prix qu'il a reçus dans Les amours imaginaires, retenu comme J'ai tué ma mère et Laurence Anyways dans la catégorie du meilleur film étranger aux Césars. Certains s'enorgueillissent de bien moins que ça.

Xavier Dolan a une grande gueule et un franc-parler qui ne laissent pas indifférent. Il dérange, il bouscule, il heurte certaines sensibilités, faisant bien des envieux et des jaloux. Il a aussi un talent prodigieux, reconnu partout dans le monde. Sur quelque 1800 films soumis aux comités de sélection du Festival de Cannes, 18 ont été retenus pour la compétition, signés par des cinéastes parmi les plus réputés de la planète. Nuri Bilge Ceylan, Ken Loach, Mike Leigh, les frères Dardenne, David Cronenberg, Jean-Luc Godard.

« Je suis content de m'être battu, d'avoir été pugnace pour enfin atterrir ici, m'avait-il dit en recevant ses prix pour son premier film. Être à Cannes, c'était mon rêve dès le tout début. Quand j'ai écrit l'apostrophe de J'ai tué ma mère, c'était mon rêve. »

Un rêve qui se poursuit.