C'est rare, comme critique de cinéma, que je sois «seul de ma gang». Je m'accorde généralement avec mes confrères et consoeurs - du moins, avec certains d'entre eux - sur ce qui rend un film digne d'intérêt.

Un critique, quoi qu'il en pense, est indissociable de son époque, de son milieu et de ses inclinations. Ses critères d'appréciation évoluent comme les techniques du cinéma, les goûts et les modes du moment.

Je l'ai toujours pensé: l'humour traverse souvent mal les frontières. Pour des questions de clivages culturels et de référents communs, notamment.

Je suis davantage attiré par l'humour anglo-saxon (de Ricky Gervais ou de Louis C.K.) que par l'humour français. Même si j'ai parfois ri aux larmes à des monologues d'Elie Semoun ou de Dieudonné, lorsqu'il était humoriste. Au cinéma, l'humour français m'a souvent paru bien... étranger. «Pas pour moi», tout simplement.

C'est justement ce que je me disais en regardant Guillaume Gallienne se faire faire un lavement intestinal par Diane Kruger dans Les garçons et Guillaume, à table!. Ce goût très prononcé du cinéma français pour le burlesque bon enfant me laisse généralement de glace. Il ne m'arrache même pas un sourire.

J'ai eu la même réaction devant Un plan parfait de Pascal Chaumeil, à l'affiche chez nous il y a quelques mois, avec la même Diane Kruger dans le rôle d'une superstitieuse qui épouse un benêt interprété par Dany Boon pour conjurer le sort, parce que les premiers mariages n'ont jamais duré dans sa famille.

J'ai repensé au film ridicule de Chaumeil en découvrant 9 mois ferme d'Albert Dupontel, à l'affiche depuis vendredi. Près de deux millions de Français ont vu cette comédie, saluée à l'unanimité par la critique pour l'audace et l'hilarité de son humour social. Elle a reçu dans la foulée deux Césars, et pas les moindres: meilleur scénario pour Albert Dupontel et meilleure actrice pour Sandrine Kiberlain.

Déjà que je m'étonnais que le film de Guillaume Gallienne ait remporté le César du meilleur film (devant La vie d'Adèle?), voilà que je me demande ce que le milieu du cinéma français a bien pu fumer pour en arriver à de pareils résultats. (Oui, je sais, les cérémonies de remises de prix me laissent souvent perplexe; un humoriste l'a déjà fait remarquer.)

Pour être franc, je m'en gratte encore la tête d'incompréhension, tellement cette histoire de célibataire endurcie m'a semblé risible, convenue et inintéressante. Le récit invraisemblable d'une juge ambitieuse et sévère, qui se trouve désemparée par une grossesse à ce point non désirée qu'elle n'arrive plus à se souvenir qui en est le responsable.

Elle finira par dénouer l'intrigue en reconstituant un soir de beuverie, grâce à des caméras de surveillance ayant capté tous ses gestes. Avec en prime les commentaires machos du gardien de sécurité et les mimiques gênées de la principale intéressée. Du théâtre de boulevard filmé.

Albert Dupontel, qui joue aussi ici les criminels abrutis, a beau se réclamer de Charlie Chaplin, son film m'a davantage rappelé Jerry Lewis, qui a toujours fait rire les Français, laissant les Américains bouche bée. Ceci expliquant peut-être cela.

Où plusieurs de mes collègues ont vu finesse et regard grinçant sur l'ambition, la justice, le couple et la maternité, je n'ai vu qu'une comédie burlesque peu subtile sur les errances d'une femme rigide soudainement intoxiquée. Du réchauffé. Seules quelques digressions à la Amélie Poulain, version trash, évitent à mon sens à Dupontel le naufrage complet.

Je le répète: je suis le seul ou presque, semble-t-il, à le penser. Le public français a adoré. La critique française a adoré. Même mon collègue et ami Marc-André Lussier a trouvé qu'il s'agissait de la comédie française la plus réussie depuis longtemps.

J'ai peut-être tort, mais le dénouement on ne peut plus prévisible de 9 mois ferme m'a rappelé un livre reçu récemment, Tous les clichés du cinéma du Français Philippe Mignaval, répertoire des «poncifs et invraisemblances du septième art». Le soldat qui montre la photo de sa fiancée meurt invariablement dans les 10 minutes, les bombes à minuterie sont toujours désamorcées à la dernière seconde, un gros plan sur une corde veut dire qu'elle va bientôt casser...

J'ai parcouru ce livre «ludique» franco-français en écrivant cette chronique. Et je n'ai pas ri une seule fois. Est-ce grave, docteur?