C'est un film comme une réponse à un châtiment injustifié. Une longue provocation de quatre heures. Et encore, il s'agit de la version «censurée» et écourtée d'une oeuvre qui, à l'origine, compte presque deux heures de plus.

Les très attendus deux volets de Nymphomaniac de Lars Von Trier (110 et 130 minutes au compteur) prennent simultanément l'affiche au Québec dans une semaine. Et on y reconnaît, de manière très explicite - le mot est choisi -, des références à la mise au ban du cinéaste danois par le Festival de Cannes en 2011.

Rappel des faits: dans une conférence de presse donnée à la suite de la présentation de son film Melancholia à Cannes, Lars Von Trier s'est permis une plaisanterie de très mauvais goût. Excédé par les questions d'un journaliste, il a déclaré par pure provocation, avec sa dérision typique: «O.K., je suis un nazi.» Une banalisation de l'un des plus grands drames de l'histoire contemporaine, aussitôt médiatisée comme telle. Mais, surtout, une très mauvaise blague.

Résultat: l'enfant chéri de Cannes a été déclaré persona non grata sur la Croisette, traité comme le dernier des pestiférés. Et malgré de promptes et sincères excuses, en raison de la mauvaise gestion de la «crise» par le Festival, l'affaire a pris des proportions insoupçonnées.

Lars Von Trier, misanthrope erratique, n'a jamais eu le tour avec les médias, qu'il n'apprécie guère à l'évidence. On le lui a fait payer. À fort prix. Sa femme et ses enfants ont beau être de confession juive, pour ce regrettable dérapage, on l'a taxé aussitôt d'antisémitisme. Une étiquette qui colle.

Il s'en défend et s'en moque (il a porté un faux t-shirt du Festival de Cannes avec la mention «persona non grata» à la Berlinale, le mois dernier), mais il ne semble pas s'en être remis. Dans Nymphomaniac, il revient sur l'incident en mettant dans la bouche d'un personnage (interprété par Stellan Skarsgård, son acteur fétiche et sorte d'alter ego) un discours sur la distinction que certains refusent de faire entre antisémitisme et antisionisme.

La nymphomane du titre, incarnée par la muse du cinéaste, Charlotte Gainsbourg, se lance quant à elle dans une tirade contre le politiquement correct autour du mot nègre. «On applaudit ceux qui disent bien, mais font le mal, et on se moque de ceux qui disent mal, mais font le bien», dit-elle.

On peut pardonner à un artiste de régler ses comptes dans une oeuvre. Surtout lorsqu'il a été diabolisé à l'excès pour une erreur dont il s'est repenti. On peut plus difficilement l'excuser de faire des films racoleurs. Nymphomaniac est malheureusement du lot.

Présentée comme un film pornographique, la dernière offrande du cinéaste de Dogville est un pensum verbeux, prétentieux et désincarné, qui multiplie à l'excès les métaphores (littéraires, bibliques, sataniques, musicales, numériques, voire de pêche!). Le tout sous des airs de festival du zizi - gros ou petit - plus cocasse qu'érotique, et de scènes de sexe triste.

Joe (Charlotte Gainsbourg), secourue alors qu'elle est blessée dans une ruelle, trouve malgré elle un confident en la personne de Seligman (Skarsgård), un intellectuel reclus qui vit par procuration dans ses livres. C'est à lui qu'elle fait le récit tortueux de sa vie.

Nymphomaniac porte sans conteste la signature de Lars Von Trier. C'est un film qui valse entre la provocation, la violence et l'humour noir. Brutal, baroque, sulfureux, ponctué par quelques plans (ceux d'ouverture notamment) d'une saisissante beauté et de quelques traits d'humour salutaires. On y trouve même «Tintin» (l'acteur Jamie Bell) dans le rôle d'un sadique sollicité par des femmes masochistes en quête de sensations fortes...

Nymphomaniac est le faux frère d'Antichrist. Charlotte Gainsbourg incarne encore une fois une femme aux prises avec un sentiment de culpabilité lié au sexe, tentant d'oublier son mal de vivre en sublimant ses irrésistibles pulsions sexuelles. Willem Dafoe, qui formait un couple avec l'actrice française dans Antichrist, tient d'ailleurs un petit rôle. Et un jeune garçon menace de tomber d'un balcon, attiré par la neige...

Le cinéaste des Idiots et de Dancer in the Dark creuse de nouveau le sillon de ses thèmes et dilemmes moraux de prédilection, à sa manière sombre, cynique et austère. S'il se dit remis d'une grave dépression - qui a précédé le tournage d'Antichrist -, il n'est visiblement pas sorti de sa «période noire».

Nymphomaniac, un exercice de style éparpillé - en version amputée par les producteurs de plusieurs dialogues philosophiques et scènes jugées trop explicites - , s'avère à mon sens aussi décevant que Melancholia et nettement moins maîtrisé qu'Antichrist, ses plus récents longs métrages.

Comme si l'ancien fer de lance du Dogme tournait en rond, coincé dans ses mécanismes de mise en scène. Le charme de l'équilibre entre la prétention et l'autodérision, l'audace et le burlesque, qui a fait la force de ses grands films, est ici rompu. Les dialogues, peu subtils, sonnent terriblement faux, les formules sont faciles, on voit venir le dénouement à des verges (s'cusez-la).

Von Trier tente même de se donner un vernis féministe, alors que son rapport aux femmes, ici comme dans l'ensemble de son cinéma, est pour le moins discutable...

Plus que jamais, son désir de provoquer semble inspiré par une pulsion puérile. Il s'égare dans le labyrinthe de digressions philosophiques qu'il a échafaudé. Plasticien de génie aveuglé par sa propre lumière, qui se complaît dans son statut d'artiste maudit. Un piège qu'on espérait qu'il évite, et dans lequel il est tombé à pieds joints.