On se laisse porter par Miraculum, le très attendu nouveau film de Daniel Grou (Podz), qui a ouvert jeudi les 32es Rendez-vous du cinéma québécois avant de prendre l'affiche vendredi prochain.

La grammaire cinématographique de Podz est envoûtante. Le rythme indolent du montage, les mouvements fluides de caméra, les gros plans sur les visages, les cadrages bien symétriques. La musique atmosphérique (de Rye notamment) est à l'avenant. Si bien que l'on a l'impression de flotter dans un rêve, ou plutôt un cauchemar mélancolique. Même si l'intrigue se veut très réaliste.

Le cinéaste des 7 Jours du talion, de 10 et de L'affaire Dumont sait créer des univers, des ambiances qui lui sont propres. Il l'a fait aussi à la télévision, grâce aux grandes séries que sont Minuit, le soir et 19-2.

Sa griffe de cinéaste ne lui fait pas défaut dans ce film choral mettant en scène quantité de personnages à la dérive, dans leurs derniers retranchements, défendus par autant d'acteurs formidables, au sommet de leur forme. De Gilbert Sicotte, dans un petit rôle de mari dont la femme (Louise Turcot) a redécouvert la passion auprès d'un collègue de travail (Julien Poulin), à Robin Aubert et Anne Dorval, qui forment un couple bourgeois éteint, trouvant refuge dans le jeu, l'alcool et la drogue.

Le désespoir se lit tout autant sur le visage de Gabriel Sabourin, exilé au Venezuela depuis trois ans, qui rentre au pays chargé de drogue, pour l'anniversaire de sa nièce, au grand dam de son frère (Jean-Nicolas Verreault). Dès le départ, un avion s'écrase, et l'on se demande lesquels, parmi ses âmes en détresse, se trouvaient à bord.

Dans le rôle principal, Marilyn Castonguay, découverte dans L'affaire Dumont du même Podz, est particulièrement convaincante en infirmière Témoin de Jéhovah, qui se heurte au doute, aux limites de sa foi, à son désir d'aider, voire de sauver son prochain.

Comment rester impassible lorsqu'un patient risque de mourir sans son aide? Que fait-on lorsque son amoureux (Xavier Dolan), atteint de leucémie, préfère mourir plutôt que de recevoir une transfusion sanguine (qui le rendrait «impur» selon les préceptes de sa religion)?

Ces questions d'éthique, ces dilemmes moraux sur la foi, la mort, l'amour, la tentation, sont l'assise du scénario ambitieux de l'auteur et comédien Gabriel Sabourin. Terreau fertile, exploité sous tous ses angles, parfois même à l'excès.

Miraculum est un film séduisant. Mais sa trame, riche et fascinante, m'a semblé par moments trop appuyée. Dans ce chassé-croisé de personnages, certains moins doués pour le bonheur ou plus caricaturaux que d'autres, des détails m'ont semblé superflus: une réplique trop explicite, une émotion trop soulignée, une zone d'ombre trop éclairée, des boîtes que l'on renverse deux fois plutôt qu'une à la pharmacie...

Je me trompe peut-être, mais j'y devine une intention. Une volonté de faire en sorte que le spectateur saisisse bien toutes les nuances de l'intrigue, tous les enjeux, tous les déchirements dans les choix faits par les personnages. Guidée par une crainte que le public ne se perde dans le labyrinthe, si on ne lui fournit pas assez d'indices.

Le cinéma est un art de la suggestion. Il est préférable parfois qu'il en dévoile moins que plus, quitte à nous laisser dans le brouillard.

Tout le monde en parle

Plusieurs se sont demandé, dans la foulée du coming out très médiatisé de la Canadienne Ellen Page, si cette jeune comédienne, révélée par Juno de Jason Reitman, aurait plus de difficulté à obtenir des rôles au cinéma, maintenant qu'elle affiche son homosexualité.

La question est pertinente, tant l'homophobie reste présente - et trop souvent tolérée - en ce début de XXIe siècle. Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil à Sotchi pour s'en convaincre. Le simple fait que l'«aveu» (le terme est toujours utilisé dans les médias) de l'actrice fasse autant de vagues en dit d'ailleurs long sur le chemin qu'il reste à parcourir pour combattre l'homophobie.

Heureusement pour elle, Ellen Page n'est pas russe. Elle a 26 ans, elle est brillante, et elle travaille dans un milieu que l'on peut qualifier de progressiste. Il reste que les rôles de lesbiennes sont rares au cinéma américain et qu'il est légitime de craindre que des producteurs proposent plus spontanément un rôle d'hétérosexuelle à une actrice qui ne se déclare pas publiquement homosexuelle.

Afficher son orientation sexuelle, est-ce toujours prêter flanc à ce type de discrimination? Sans aucun doute. Ce n'est pas pour rien que l'on souligne toujours le courage, bien réel, des artistes et athlètes qui font leur coming out.

Les signes d'ouverture provenant de Hollywood et du public nord-américain (notamment sur les réseaux sociaux) sont à tout le moins encourageants. On sous-estime parfois l'influence de la culture populaire sur les mouvements sociaux. Le mariage gai fait largement consensus aux États-Unis, même à droite, alors qu'il s'en trouve des milliers en France pour manifester fièrement contre ce droit à l'égalité.

Pourquoi ce schisme culturel? Peut-être en partie parce qu'à la télévision et au cinéma américain, on trouve depuis plusieurs années des personnages homosexuels dans des séries aussi consensuelles que Will and Grace et Modern Family. Ce qui n'est pas le cas en France. Neil Patrick Harris, le Docteur Doogie des années 80, joue les séducteurs à la télé, dans la série How I Met Your Mother, alors qu'il est ouvertement homosexuel, sans que personne ne s'en formalise (du moins publiquement).

Le combat pour l'égalité des droits des homosexuels est pourtant loin d'être gagné. Certains trouvent que Dany Turcotte parle trop de son homosexualité à Tout le monde en parle? Je suis convaincu que grâce à lui et à la tribune dont il se sert pour contrer l'homophobie, bien des jeunes homosexuels craignent moins aujourd'hui d'être ostracisés qu'il y a 10 ans.

Plus on en parle, moins c'est marginal. Le jour où une actrice hollywoodienne dira qu'elle est homosexuelle sans que tout le monde en parle, on pourra parler d'égalité.