Dieudonné ne regrette rien. «Soyons clairs: je n'ai absolument aucun remords», déclare l'humoriste dans une rare entrevue, publiée mercredi par le magazine français Causeur. La polémique entourant son plus récent spectacle, Le mur, interdit de diffusion parce qu'il multipliait les allusions antisémites, ne semble pas avoir éveillé chez lui le moindre scrupule.

Il nie être antisémite. Il l'a encore dit à ma collègue Michèle Ouimet la semaine dernière, dans un bref entretien arraché en marge de son spectacle, rebaptisé Asu Zoa, qu'il a édulcoré pour satisfaire aux exigences des autorités.

«Je n'ai absolument aucune haine particulière vis-à-vis du peuple juif, mais aucune attirance non plus», dit-il à Causeur, équivoque, cultivant l'ambiguïté, moteur de sa démarche artistique depuis une dizaine d'années.

Ni haine ni attirance, mais une obsession qu'il ne prend même plus la peine de démentir. «Heurter, choquer, c'est notre métier», se défend Dieudonné, qui multiplie depuis des années les déclarations à teneur antisémite, polluant son discours de silences complices et de dérapages en règle (qui lui ont valu plusieurs condamnations).

«Si certains ont été heurtés [...] par certains de mes propos, je m'en excuse le plus sincèrement du monde», dit-il. On se souvient que Mes excuses était le titre, ironique, de l'un de ses spectacles. Pour la sincérité, on repassera.

L'humoriste n'avait pas parlé aux médias depuis le début de la polémique. Depuis que le gouvernement français, tentant de le censurer de manière aussi cavalière que maladroite, avait renforcé involontairement l'image de héraut de la liberté d'expression et de martyr du politiquement correct qu'il cultive à dessein depuis des années.

«Je ne donne jamais d'entrevues», a-t-il la semaine dernière à Michèle Ouimet, qui ne l'a pas laissé se défiler facilement. Voilà qu'il décide de parler de son plein gré. Non pas pour dissiper des malentendus, mais bien pour entretenir le doute.

«Le seul problème de la France est le mensonge, dont le sionisme est l'une des expressions les plus flamboyantes», clame-t-il, après avoir offert une réponse évasive sur l'authenticité de l'Holocauste («Je ne suis pas spécialiste de ces choses-là») et laissé entendre que l'on confond son antisionisme avec l'antisémitisme.

Depuis 10 ans, sur scène et surtout sur la place publique, son discours n'a cessé de se radicaliser. Dieudonné s'est piégé lui-même dans une spirale de ressentiment, s'est emmuré dans la paranoïa, convaincu d'être la cible d'un complot politico-médiatique, fomenté par l'intelligentsia juive. Pour mieux se poser en victime non seulement du système judiciaire, mais des médias français qui, prétend-il, le diabolisent.

Il est accusé d'évasion fiscale, et la police française a saisi chez lui la semaine dernière 650 000 euros et 15 000$ en argent comptant.

Lundi, il a été interdit d'entrée en Grande-Bretagne, où il voulait se rendre afin de soutenir son ami Nicolas Anelka, suspendu de son équipe de soccer pour avoir célébré un but avec une «quenelle» (geste popularisé par l'humoriste, que certains qualifient de «salut nazi inversé»).

À chaque rebuffade, son statut de trublion, de fou du roi anti-establishment - dont il se fait une fierté - est plus fort. Ses billets se vendent comme des pains chauds. Les rangs de ses admirateurs grossissent à vue d'oeil. Ses alliés sont de toutes allégeances (il fraye avec l'extrême droite et le Front national, contre qui il militait ouvertement à l'époque où il formait un duo avec Elie Semoun).

Dieudonné prétend faire rire en défiant l'ordre établi et en repoussant les limites de la liberté d'expression.

Il distille surtout un humour douteux, jetant constamment de l'huile sur le feu, nourrissant les braises de l'intolérance, en enflammant les foules et en encourageant les discours haineux. Quand on joue avec le feu...

Le constat est désolant. Un humoriste au talent exceptionnel, réglant ses comptes sur scène quand il ne se campe pas en victime, aveuglé par l'amertume et la rancoeur.

Ses spectacles de plus en plus revanchards et de moins en moins drôles. Ne serait-ce que pour cette seule raison, il devrait éprouver des remords.