Dans la comédie involontaire de l'hiver, Les jeunes loups de TVA, on soupçonne un crime d'honneur dans une famille musulmane, les jeunes Haïtiens traînent dans les gangs de rue et les Italiens sont tous des restaurateurs honnêtes (mais non, des mafieux). Bonsoir les stéréotypes.

C'est pour combattre ces clichés tenaces, véhiculés à doses peu subtiles par notre télévision, que l'organisme Diversité artistique Montréal (DAM) tient ce soir les premières Auditions de la diversité au Théâtre de Quat'Sous.

L'occasion pour des comédiens trop souvent ignorés de se faire valoir auprès d'agents de casting et autres décideurs de l'industrie du cinéma, de la télévision et des arts de la scène, «afin de pallier un manque flagrant d'acteurs des communautés ethnoculturelles dans le paysage audiovisuel et théâtral».

«Nous sommes très loin de la représentativité de Montréal à l'écran, constate Jérôme Pruneau, directeur général de DAM. Pourquoi un acteur ne pourrait-il pas jouer autre chose que le rôle cliché du Noir ou du Latino dans un gang de rue ou de l'Arabe terroriste?»

Cet ethnologue de formation, qui dirige depuis le mois de novembre la revue TicArtToc, consacrée à la réflexion sur la diversité culturelle, rêve du jour où les scénaristes écriront d'emblée des rôles de premier plan pour des acteurs d'origines diverses. Pas seulement pour «casser les préjugés», mais simplement pour refléter la réalité multiethnique de Montréal. La moitié de la population de la métropole est dite «issue de l'immigration» et le tiers de ses habitants est né à l'étranger.

On ne le devinerait pas en regardant la télévision québécoise. Alors qu'au Canada anglais, la pluralité ethnique est représentée de manière beaucoup plus réaliste au petit écran, au Québec, on compte sur les doigts d'une main les acteurs qui vivent de leur art grâce à des premiers rôles à la télévision. Si on peut tous les nommer, c'est qu'il y a un problème.

Dans la version canadienne-anglaise de 19-2, diffusée depuis la semaine dernière à CTV/Global, l'un des deux personnages principaux, Nick Barron, est interprété par un acteur noir. Dans la série québécoise originale, les personnages principaux sont tous blancs et Tyler, un personnage secondaire d'origine haïtienne, est un alcoolique sévère. Les deux séries sont pourtant campées à Montréal.

Les médecins montréalais que je connais sont d'origine moyen-orientale, indienne, asiatique, haïtienne, italienne, française. Au CHUM, un seul un médecin sur cinq serait d'origine franco-québécoise, selon DAM. Ce n'est pourtant pas l'image que nous présente la série Trauma, où le personnel médical est non seulement blanc, mais certain d'être enlevé en faisant de l'aide humanitaire en Haïti. (Pendant ce temps dans Unité 9, le seul personnage noir est la détenue la plus crainte de la prison.)

Pas étonnant dans les circonstances qu'un animateur aussi clairvoyant qu'Éric Duhaime puisse déclarer à la radio, à la veille du mois de l'Histoire des Noirs, dans un monde où le président américain a des origines africaines et un écrivain québéco-haïtien vient d'être admis à l'Académie française, qu'il n'y a pas de modèle positif dans la communauté noire...

Même dans 30 vies, une émission qui, à la décharge de son auteure Fabienne Larouche, est l'une des plus multiethniques de la télévision québécoise, un intégriste musulman est susceptible d'apparaître à tout moment à la cafétéria ou à l'arrêt «d'étobus», afin d'islamiser le Québec, voiler ses femmes et obliger ses hommes à regarder le hockey à quatre pattes sur un tapis shaggy.

Je veux bien qu'il s'agisse de télé et d'oeuvres de fiction - je ne remets pas en question la liberté et la licence de l'auteur -, mais lorsqu'une émission est regardée par un million, voire deux millions de téléspectateurs, son influence n'est pas banale. La télévision nous informe et nous divertit en moyenne près de 30 heures par semaine au Québec. En nourrissant parfois bien des préjugés.

«Je trouve que nos fictions en disent long sur la place de l'Autre dans l'imaginaire québécois», me disait récemment mon amie Chantal. Elle a bien raison. Si la télévision est un miroir de la société, l'image qu'elle nous renvoie est déformée. Lorsque notre télé ne fait pas abstraction de la moitié de la population montréalaise ayant des origines étrangères, elle les condamne à la caricature grotesque et au stéréotype négatif.

Dans nos fictions, de manière générale, les Arabes sont des intégristes, les Noirs, des vendeurs de drogue et les Italiens, tous liés d'une manière ou d'une autre au crime organisé. La manière dont ils sont dépeints nourrit certainement le climat de xénophobie malsain qui entoure les débats sur la Charte des valeurs du PQ. Et ce n'est pas la présence d'un Kaled ou d'un Gulio à Occupation double qui va arranger les choses (sinon pour démontrer hors de tout doute que le quétaine ne fait pas de discrimination). Je m'égare.

La question reste entière: pourquoi refuse-t-on de montrer Montréal sous son vrai jour et sous toutes ses couleurs au petit écran? Pourquoi nos réseaux tardent-ils tant à «arriver en ville» en ce qui concerne la représentation multiethnique dans les oeuvres de fiction? Le milieu de la télé a-t-il peur de déplaire au fameux «vrai monde», qu'il présume moins ouvert à «l'Autre»? Craint-il, de manière condescendante à mon sens, de s'aliéner le public des régions?

«C'est possible, croit Jérôme Pruneau. Je pense aussi qu'ils ont l'impression qu'un Noir ou un Arabe comme tête d'affiche à la télé, ce n'est pas vendeur. Je suis convaincu qu'ils se trompent.» On l'espère.