Lance Armstrong prétend qu'il n'a pas vu The Armstrong Lie, à l'affiche vendredi. «Je ne suis pas sûr que ce soit vrai», m'a confié cette semaine le documentariste Alex Gibney. Une phrase qui résume sa relation avec le septuple champion déchu du Tour de France.

The Armstrong Lie est un film fascinant sur le mensonge et l'abus de pouvoir. C'est aussi l'histoire d'un cinéaste réputé qui a voulu réaliser un film sur le retour à la compétition d'un champion controversé et qui, en cours de route, a dû effectuer un virage à 180 degrés.

Cela donne à l'arrivée l'impression d'un mariage forcé entre deux films: celui d'avant et celui d'après les aveux - eux-mêmes forcés - de Lance Armstrong l'an dernier.

Rien ne prédestinait Alex Gibney, lauréat en 2007 d'un Oscar pour Taxi to the Dark Side (à propos d'un chauffeur de taxi torturé en Afghanistan), à tourner un documentaire sur le parcours tortueux de Lance Armstrong.

«Je ne connaissais rien au cyclisme, dit-il. Un projet de long métrage de fiction a été abandonné et le studio m'a demandé de suivre Armstrong pendant un an, pour documenter son retour à la compétition en 2008. Je savais que des soupçons de dopage pesaient sur lui, mais j'avais en tête un documentaire sportif assez simple.»

La suite fut beaucoup plus complexe. Lorsque l'étau judiciaire s'est resserré sur Armstrong, Gibney a dû remiser son film, bouclé fin 2010. «Je devais attendre que la poussière retombe, dit-il. Avec les enquêtes criminelles, plus personne ne voulait me parler.»

Le cinéaste a eu pendant un an un accès privilégié à Lance Armstrong, faisant craindre à ses détracteurs qu'il ne réalise un portrait complaisant du Texan, qui a dominé le Tour de France de 1999 à 2005.

Gibney projetait de raconter la troisième place de l'ancien maillot jaune au Tour de France 2009, quatre ans après sa retraite sportive, comme une victoire symbolique. Mais les aveux publics d'Armstrong, l'an dernier à Oprah Winfrey, l'ont obligé à revoir son projet.

«Il m'a averti cinq semaines avant l'entrevue avec Oprah qu'il avait menti sur le dopage et qu'il allait déballer son sac, dit-il. Il me devait des explications. Il m'a rencontré en mai pour me livrer sa version révisée des faits.»

Le cinéaste new-yorkais n'a pas eu de nouvelles d'Armstrong depuis. Son film brosse un portrait assez dur de l'homme et de l'athlète. Et laisse entendre, preuves à l'appui, qu'Armstrong s'est bel et bien dopé en 2009, contrairement à ce qu'il prétend. «Je ne sais pas pourquoi il refuse de l'admettre, dit Gibney. Pour donner une tournure symbolique à son histoire, peut-être.»

Ceux qui ont suivi cette affaire de près n'apprendront probablement rien de nouveau en voyant The Armstrong Lie. Mais le résumé qu'en fait Alex Gibney est saisissant. Il s'intéresse à la complaisance de l'Union cycliste internationale (UCI) à l'égard du dopage d'Armstrong. L'organisme qui chapeaute le cyclisme mondial avait grand besoin de se refaire une virginité à la fin des années 90 et aurait été très indulgent avec son nouveau champion, en rémission d'un cancer.

Le documentaire, dont Gibney assure la narration, propose des entrevues éclairantes avec des journalistes du milieu cycliste et d'anciens coéquipiers et amis d'Armstrong. Parmi ceux-ci, Frankie Andreu et George Hincapie, qui confirment ce dont tout le monde se doute: tous les cyclistes du Tour de France se dopent. Ils n'ont pas le choix s'ils veulent suivre la cadence et trouver une équipe.

Alex Gibney s'intéresse à l'omertà entourant la pratique du dopage dans le cyclisme professionnel. Il rencontre l'ancien médecin traitant d'Armstrong, Michele Ferrari, un crack du dopage d'athlètes de haut niveau, désormais banni du sport.

Le portrait que le cinéaste fait de Lance Armstrong n'est pas sans nuance, mais il est sans merci. L'image qu'il nous présente est celle d'un athlète obsédé par la victoire, et pas seulement dans le sport. L'incarnation même du mâle alpha qui écrase tout sur son passage et s'accroche à ses derniers mensonges comme à une planche de salut. «C'est l'anatomie d'un mensonge qui a des répercussions beaucoup plus grandes que seulement sur le monde cycliste.»

C'est la trahison de ses proches qui semble la plus impardonnable dans le parcours d'Armstrong. À ce jour, il refuse de reconnaître que Frankie Andreu et sa femme Betsy, des amis de longue date, l'ont entendu confesser ses pratiques de dopage à un médecin, en 1996, avant ses traitements pour un cancer des testicules.

Le couple Andreu a témoigné de cette conversation devant un juge. Armstrong a tout nié, a traîné ses amis dans la boue, les a poursuivis, a gâché 10 ans de leur vie, à coups de millions de dollars. Et il refuse toujours de faire amende honorable.

Cette persistance dans le mensonge, cette capacité à pratiquement s'en convaincre ont procuré à Lance Armstrong un puissant sentiment d'impunité, selon Alex Gibney. Une impression d'invincibilité, renforcée par un palmarès sportif exceptionnel, un statut de miraculé du cancer, et une célébrité mondiale.

Lance Armstrong était un héros populaire, fiancé à une star du rock (Sheryl Crow), plusieurs dizaines de fois millionnaire. Ses admirateurs, dont des centaines de milliers de personnes atteintes du cancer, ont voulu croire à son incroyable histoire. C'est peut-être la raison pour laquelle il se croyait tout permis. Et qu'il n'a pas hésité à piétiner tous ceux qui ont osé se mettre sur son chemin.

Est-ce aussi ce qui l'a rendu gourmand au point de tout risquer pour tenter de remporter le Tour de France en 2009? Est-ce bien ce qui a mené à sa perte? Aurait-il réussi à enfouir à jamais son mensonge s'il s'était contenté de ses sept triomphes précédents? C'est la thèse défendue par The Armstrong Lie, à laquelle j'ai du mal à croire.

Trop de gens savaient qu'Armstrong mentait pour qu'il ne soit pas démasqué un jour. La justice américaine était déjà à ses trousses. «La vérité l'aurait peut-être rattrapé, concède Alex Gibney. C'est une histoire complexe d'un point de vue moral. On a tort, je crois, de tenter d'effacer ses victoires de l'histoire du Tour de France. C'est une forme de révisionnisme. Mais il y a aussi là une cruelle justice. Il a abusé de la confiance des gens, il les a dupés, les a intimidés, et il aurait pu le faire encore longtemps.»

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