C'est un document qui mérite un meilleur sort qu'une tablette. Le Groupe de travail sur les enjeux du cinéma (GTEC) propose dans son rapport, attendu depuis plusieurs semaines et rendu public hier, plusieurs pistes de réflexion intéressantes.

Des solutions, des souhaits, des recommandations, des compromis. C'est un rapport qui dresse un constat réaliste de la situation du cinéma québécois. Et qui propose, oui, parmi 20 recommandations, qu'une taxe soit versée au profit du cinéma québécois.

«Une taxe?», aurait pu s'écrier le ministre de la Culture, Maka Kotto, qui a commandé ce rapport à la SODEC en février dernier, afin de calmer les ardeurs de ceux qui voyaient une «crise du cinéma québécois» dans leur soupe.

Il pourra se rassurer. Il ne s'agit pas d'une taxe additionnelle sur les billets de cinéma, ni d'une taxe sur les frais d'accès à l'internet, ni d'un transfert d'une partie des profits réalisés par Loto-Québec. Des propositions de financement qui ont fait l'objet d'une fuite dans Le Devoir, avant d'être écartées par le GTEC.

Découvrant ces pistes de réflexion, le ministre Kotto avait écarté d'un revers de main l'idée d'une nouvelle taxe, semblant torpiller le rapport avant même sa publication, tout en donnant l'impression à plusieurs (dont certains parmi ses 17 signataires) d'une ingérence politique dans le processus.

Une réaction pour le moins hâtive et discutable de la part d'un ministre qui aurait pu à tout le moins attendre le dépôt dudit rapport, coprésidé par sa sous-ministre Rachel Laperrière (avec le président sortant de la SODEC, François Macerola), avant de le commenter.

Toujours est-il qu'hier, faisant fi en apparence des «avertissements» du gouvernement Marois - qui ne voudrait pas que le mot «taxe» entache ses stratégies préélectorales -, le GTEC a proposé que l'on verse le produit de la taxe de vente du Québec (TVQ) actuellement appliqué sur les billets de cinéma à des activités de soutien au cinéma québécois.

Il ne s'agit pas d'une nouvelle taxe. Le groupe reconnaît lui-même que verser ces 17 millions de dollars de revenus annuels directement (pour une augmentation de 22% de l'aide québécoise au cinéma) ou puiser l'équivalent ailleurs dans ses coffres revient au même. «Trouver 17 millions dans un budget de plusieurs milliards, ce n'est pas si compliqué que ça», a dit hier François Macerola, l'air frondeur, en conférence de presse.

Le groupe fait cette recommandation «tout en reconnaissant que ce dernier type d'approche est peu populaire et que les gouvernements sont souvent réticents à instaurer des taxes dédiées». On verra à terme comment y réagira le ministre Kotto, qui a assuré hier à M. Macerola que ce rapport n'aboutirait pas sur une tablette.

On aimerait le croire sur parole. Car ce rapport contient plusieurs bonnes idées générales. J'ai été, à première vue, inquiété par son titre, De l'oeuvre à son public, qui m'a fait craindre le clientélisme. Mais j'y ai rapidement trouvé des avis constructifs sur la manière d'améliorer le fonctionnement, le financement et la production du cinéma québécois.

Le GTEC reconnaît que de parler de «crise» pour qualifier la baisse de fréquentation du cinéma québécois est «inapproprié et excessif». François Macerola a même parlé hier avec ironie de «crisette». Mais le groupe s'inquiète d'une tendance à la baisse depuis une décennie et constate - comme l'ensemble du milieu - que le cinéma québécois est sous-financé. Le budget moyen d'un long métrage de fiction était de 3,8 millions en 2005 et de 3,7 millions en 2012. En dollars constants, on ne parle plus seulement de stagnation.

Le financement est le nerf de la guerre, et s'il ne les recommande pas officiellement, le groupe enjoint au gouvernement d'étudier différentes avenues. L'imposition, par exemple, d'une taxe (encore ce mot honni!) sur les téléviseurs, cinémas maison, ordinateurs, tablettes et autres téléphones intelligents, au profit d'un financement récurrent de la production culturelle québécoise.

La solution ne se trouve toutefois pas, selon le rapport, dans des «contributions financières additionnelles, directes ou indirectes», de la part des exploitants et des distributeurs. M. Guzzo peut dormir tranquille. Tout comme Les Films Séville, grand acteur de la distribution au Québec, sous la loupe du GTEC, qui estime que des mesures devraient être mises en place afin d'assurer une plus saine compétition et de réduire les risques des plus petits distributeurs.

On trouve aussi dans le rapport, évidemment, quelques voeux pieux. Comme cette demande faite au gouvernement du Québec d'intervenir auprès du gouvernement fédéral pour exiger des fournisseurs d'accès internet (comme Vidéotron ou Bell) qu'ils contribuent davantage au financement des produits culturels.

Beaucoup de propositions touchent non seulement au financement, mais aussi à la distribution, à l'accessibilité aux films sur différentes plateformes (dans des délais plus courts) ou encore au développement des scénarios, un parent pauvre.

La plupart des défis les plus importants du cinéma québécois sont bien définis. Le manque de continuité dans le soutien aux cinéastes notamment (68% d'entre eux n'ont réalisé qu'un seul film depuis sept ans). Ou encore le désengagement progressif des télédiffuseurs dans le long métrage québécois. Le groupe enjoint au gouvernement de doter Télé-Québec d'une enveloppe spécifique pour l'acquisition et la promotion de longs métrages québécois et appelle Radio-Canada à en faire davantage pour notre cinéma.

Le président de la SODEC, François Macerola, qui quittera son poste le 29 novembre, aurait souhaité que son mandat soit prolongé de quelques mois, afin de veiller au suivi de ce rapport. «J'espère que le gouvernement aura du courage et décidera, dans toute sa sagesse, d'aller de l'avant avec certaines des recommandations», a-t-il déclaré hier, sur le ton du défi.

On se demande bien ce qu'il adviendra de ce document signé par des gens de cinéma de tous les horizons (l'acteur Michel Côté, les cinéastes Podz, Micheline Lanctôt et Anaïs Barbeau-Lavalette, notamment), auquel ont contribué une vingtaine d'organismes et d'associations.

Ce n'est pas du côté de Maka Kotto, qui défend le milieu culturel auprès de son gouvernement avec l'aplomb d'une éponge de cuisine, qu'il faut espérer beaucoup de volonté politique. Il en est encore à brandir ce fameux «trou» de 1,6 milliard découvert il y a un an dans le budget pour justifier ses promesses électorales non tenues.

Le ministre ne pourra laisser toutes ces idées en plan. Elles sont le résultat de la réflexion sérieuse de gens dévoués et compétents. Espérons seulement qu'ils n'ont pas travaillé en vain.