Marc-André est d'abord un ami. Je l'écris d'emblée, en affichant un évident conflit d'intérêts. Mon collègue Marc-André Lussier publie ces jours-ci son premier livre, Le meilleur de mon cinéma, inspiré de 300 films qui ont marqué ses 30 années de cinéphilie.

J'en ai moi-même signé la préface, aux Éditions La Presse. Vous dire à quel point je suis mal placé pour vous dire qu'il vaut la peine d'être lu. Et pourtant, voilà, c'est dit.

Cet ouvrage à l'image de son auteur - généreux, rigoureux, pertinent et sans prétention - propose un regard rétrospectif sur 30 ans de cinéma, des chroniques et des entrevues avec certains des artistes les plus importants du cinéma actuel (de Lars von Trier à Pedro Almodovar, en passant par Catherine Deneuve et Denys Arcand), autour de listes commentées des meilleurs films de l'année, de 1983 à 2012.

C'est en fouillant dans ses archives, pour se rendre compte qu'il avait conservé des fiches sur des films depuis 30 ans, que Marc-André a eu l'idée de ce livre «pratique», qui devrait inciter bien des cinéphiles à découvrir ou redécouvrir des dizaines de films.

«À partir de 1983, je notais tout, dit-il. Même si je n'avais aucune activité professionnelle liée au cinéma, je notais mes impressions sur des films. Je le faisais juste pour moi, pour mettre de l'ordre dans mes affaires. Et j'ai tout conservé. Il faut dire que je suis assez compulsif, pour certaines choses que j'aime.»

C'est à la fin de l'adolescence que Marc-André Lussier s'est découvert une passion pour le cinéma. En voyant pour la première fois les films de son cinéaste fétiche, François Truffaut, Le dernier métro (avec Catherine Deneuve, son actrice préférée) et La femme d'à côté.

«J'ai aussitôt voulu découvrir ses films précédents, dit-il. Ce qui est fascinant, quand on se découvre une passion, c'est qu'on devient boulimique. On veut en connaître davantage tout le temps. Étant autodidacte, je dévorais tous les magazines de cinéma. J'étais abonné à tous ces magazines que j'ai conservés jusqu'à l'an dernier...»

Il aurait peut-être dû les garder plus longtemps. En voulant se départir de ses publications, l'été dernier, il s'est cassé le bras en butant contre des sacs-poubelle remplis de magazines de cinéma. Il a raté le Festival de Karlovy Vary, mais a continué, d'une seule main, à nourrir son blogue pendant des semaines.

C'est par le circuit des cinémas de répertoire, à la fin des années 70 et au début des années 80 (le cinéma Outremont, le Ouimetoscope, le Séville, le Cinéma V, le Cinéma de Paris), que Marc-André s'est initié au cinéma d'auteur et s'est construit une culture cinématographique. Le Festival des films du monde, alors dans son âge d'or, a nourri parallèlement sa cinéphilie. «Je prenais mes vacances pendant le FFM, dit-il. À l'époque, je n'y pensais pas deux fois. Ça valait encore la peine...»

Marc-André a un parcours professionnel pour le moins atypique. Il est entré à La Presse à 18 ans, au service de la publicité, tout en rêvant à une carrière de chanteur. Il a même été, à l'époque, demi-finaliste au fameux Festival de la chanson de Granby. «J'ai perdu des années à chercher ma voie, à essayer de faire des shows ici et là, dit-il. Je me suis rendu compte qu'il fallait une santé de fer et des nerfs d'acier pour réussir dans le métier. J'avais trop le trac. Quand tu meurs chaque fois, t'es mieux de te trouver autre chose!»

Il ne pensait pas faire de la critique de cinéma une profession lorsque, avec un ami d'enfance, sans la moindre expérience, il a proposé une émission de radio sur le cinéma à CKAC (qui se montrait intéressée). Projection spéciale a plutôt vu le jour à la radio communautaire CIBL et a tenu l'antenne pendant huit ans, à partir de l'automne 1988, avec de jeunes collaborateurs tels Bruno Boulianne et Patrick Masbourian.

Le temps pour Marc-André Lussier de se faire une réputation enviable dans le milieu des médias et du cinéma québécois. «Je ne savais même pas ce qu'était un visionnement de presse à l'époque. On m'a appelé pour me demander si j'étais intéressé à voir des films gratuitement, avant tout le monde. Pourquoi pas?», se rappelle-t-il avec le sourire.

Il a ensuite été chroniqueur culturel à la radio de Radio-Canada, notamment dans l'équipe de René Homier-Roy le week-end. Et tout en continuant de travailler au service de la publicité, il est devenu collaborateur régulier du cahier Cinéma de La Presse dès 1995. Jusqu'à ce qu'un patron clairvoyant (Alain de Repentigny pour ne pas le nommer) lui propose cinq ans plus tard un poste officiel de critique de cinéma.

A-t-il fait le plein de nostalgie en plongeant ainsi dans ses souvenirs de cinéphile? «Forcément, ce genre d'exercice te renvoie à ta jeunesse, dit-il. Le cinéma a beaucoup changé en 30 ans. Notre façon de le consommer aussi. Certains films qui ont été faits il y a 20 ou 30 ans pourraient difficilement être produits aujourd'hui de la même façon. Ce que je trouve encourageant, c'est qu'il y a toujours un grand film pour nous réconcilier avec le métier. Après des passages à vide, qui peuvent parfois être longs, arrive un film comme La vie d'Adèle...»

A-t-il eu des regrets en redécouvrant certaines de ses listes de fin d'année? «En 1998, il y a un film français dont je ne me souviens même plus, admet-il. Alors que Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau, que je vénère, n'est pas là. Je ne sais pas pourquoi!»

Marc-André a célébré le mois dernier son 25e anniversaire dans le métier. Vingt-cinq ans à défendre avec brio et passion le cinéma de qualité, qu'il soit d'ici ou de l'étranger. «J'aime le défendre. Parce qu'on parle toujours des mêmes films à grands budgets du cinéma hollywoodien. Un autre cinéma existe aussi et mérite autant sa place.» Bien dit, l'ami.