David Gilmour faisait peut-être le fanfaron. Peut-être voulait-il provoquer le milieu universitaire ou littéraire. S'inscrire en faux contre la tendance politiquement correcte du moment (qui a le dos large). S'afficher en libre penseur rebelle, imperméable à la censure. Ou bêtement livrer le fond de sa pensée. Qui sait?

Toujours est-il que la semaine dernière, l'écrivain torontois et ancien animateur télé a déclaré, en entrevue à Hazlitt, le magazine web de la maison d'édition Random House, qu'il ne s'intéressait pas aux oeuvres écrites par des femmes et que, par conséquent, il ne les enseignait pas à ses étudiants de l'Université de Toronto.

«Je ne suis pas intéressé à donner des cours sur des écrivaines. La seule qui m'intéresse est Virginia Woolf», a précisé Gilmour, en expliquant qu'en accord avec l'Université de Toronto, il n'enseignait que les romans d'auteurs qu'il aime vraiment. «Malheureusement, dans le lot, il n'y a ni femmes ni Chinois.»

«D'ordinaire, au début du trimestre, un étudiant me demande pourquoi il n'y a pas de livres d'écrivaines au programme, dit Gilmour. Je réponds que je n'aime pas assez les écrivaines pour enseigner leurs livres, mais que d'autres le font dans le département. J'enseigne des livres de gars. Des gars sérieux et hétérosexuels. F. Scott Fitzgerald, Tchekhov, Tolstoï. De vrais «gars-gars». Henry Miller, Philip Roth.»

La réaction a été vive et immédiate dans les médias, sociaux comme traditionnels, au pays comme à l'étranger. Des professeurs de l'Université de Toronto et l'institution elle-même se sont aussitôt distanciés des propos de Gilmour. Des étudiants ont organisé une manifestation pour exiger sa démission.

David Gilmour s'est mis les pieds dans les plats. Parce qu'il a été trop franc? M'est avis qu'il s'est plutôt fait prendre à son propre jeu. En déclarant fièrement qu'il n'a que peu d'intérêt pour les auteurs femmes, gais, chinois (et même canadiens), il perpétue, peut-être malgré lui, des préjugés tenaces. Notamment que les femmes, de tout temps victimes de discrimination systémique dans le milieu littéraire, sont moins talentueuses que les hommes.

David Gilmour est l'auteur de nombreux romans, dont A Perfect Night to Go to China, Prix du Gouverneur général en 2008, et Extraordinary, son plus récent, en lice pour le prix Giller. J'ai interviewé cet artiste fort sympathique il y a trois ans, à l'occasion de la parution en français de son essai The Film Club, compte-rendu d'une expérience atypique visant à inculquer un minimum de culture à son fils décrocheur.

Pendant trois ans, père et fils se sont retrouvés trois fois par semaine pour regarder des classiques de la Nouvelle Vague, du néoréalisme italien ou de l'âge d'or du cinéma hollywoodien, de même que bien des navets. «J'ai choisi les films de manière instinctive, m'a-t-il confié à l'époque. Je ne voulais surtout pas enlever à Jesse le goût du cinéma, comme on lui a enlevé le goût de la littérature à l'école. Si j'ai un talent, c'est l'enthousiasme que je transmets aux gens à propos de ce que j'aime. J'ai donc choisi des films que j'aimais ou que j'ai aimés dans une période précise de ma vie.»

C'est la même philosophie, à l'évidence, qui guide ses cours de littérature, qu'il donne peu ou prou depuis l'époque de la sortie de ce livre, en 2007. David Gilmour a le droit, bien sûr, d'enseigner les livres qu'il aime et qui l'ont marqué. Cela semble du reste être une prérogative implicite à son lien d'emploi avec l'Université de Toronto.

Une prérogative que réfute un autre professeur de littérature de l'Université de Toronto, Holger Syme, spécialiste de Shakespeare, dans un billet incendiaire publié sur son blogue. Syme, qui refuse de considérer Gilmour comme un collègue, lui reproche non seulement de ne pas être un «vrai» professeur de littérature (il n'a pas de doctorat), mais de ne pas «savoir lire» correctement ses classiques.

Un procès d'intention d'une mauvaise foi manifeste, motivé par les sempiternelles - et stagnantes - doléances des spécialistes envers les non-spécialistes. Qui m'a rappelé à quel point il était salutaire que l'analyse littéraire ne soit pas le seul apanage d'exégètes munis d'un Ph. D. La littérature est une matière vivante, qui peut être appréciée par tous, de toutes sortes de manières. Celle de David Gilmour, un passionné, reste aussi valable qu'une autre.

Cela dit, le droit d'enseigner la littérature vient aussi avec des responsabilités. Auxquelles David Gilmour ne fait certainement pas honneur en déclarant comme un paon que les oeuvres littéraires créées par des femmes ne méritent pas son attention. Ce n'est pas sa défense «d'hétéro vieillissant» qui y change quoi que ce soit.

David Gilmour a 63 ans. Il s'intéresse surtout, de son propre aveu, à des auteurs qui ont les mêmes préoccupations que les siennes. Il a le droit d'aimer Philip Roth. Ce n'est pas ce qui pose problème. David Gilmour, le professeur d'université (pas l'auteur ni l'ancien animateur télé), se targue de ne faire aucune place à des écrivaines dans ses cours. Que ceux que la littérature féminine intéresse aillent voir ailleurs, ajoute-t-il.

À une autre époque, ce machisme-là - un machisme de baba cool lettré pouvant passer pour de l'esprit ou du non-conformisme - était largement toléré, voire encouragé. Ce n'est heureusement plus le cas, comme l'a appris David Gilmour à ses dépens. Il n'y a pas d'âge acceptable pour être macho. Ni pour dire des conneries.