L'écume des jours, comme bien des romans d'apprentissage lus à l'adolescence, m'a laissé un souvenir flou. Celui d'une histoire d'amour tragique, d'un nénuphar indomptable comme métaphore d'une maladie mortelle, d'images surréalistes de pianocktail ou de discours de Jean-Sol Partre.

À 15 ou 16 ans, je ne comprenais pas ce que Boris Vian reprochait à l'auteur de Huis clos et des Mains sales, dont je dévorais les écrits. Je ne savais pas davantage que Vian avait une multitude de visages: musicien de jazz, chanteur, auteur sous pseudonyme de chansons et de romans sombres et sulfureux.

L'écume des jours est resté pour moi le roman d'une émotion romantique adolescente. Un parfum triste, lyrique, évanescent. Je ne sais pas ce que Boris Vian aurait pensé de l'adaptation cinématographique de son roman par Michel Gondry, qui prend l'affiche vendredi. Je ne suis pas convaincu que le Bison aurait été ravi (s'cusez-la).

À la première projection de J'irai cracher sur vos tombes, fascinant récit de la vengeance d'un jeune Métis dans le sud des États-Unis - signé du pseudonyme de Vernon Sullivan et porté à l'écran par Michel Gast en 1959 -, Boris Vian est tombé raide mort. Il s'était vivement opposé à cette adaptation et en avait littéralement fait une maladie.

J'espère que ces derniers mois, l'auteur de J'suis snob ne s'est pas retourné dans sa tombe. Car si Michel Gondry réussit à traduire au grand écran l'univers éclaté décrit dans son roman, il l'a expurgé de toute émotion, de tout sentiment romantique et, j'oserais dire, de toute humanité.

Le récit que fait Gondry de la brève histoire d'amour entre Colin (Romain Duris, statique) et Chloé (Audrey Tatou, glaciale), s'il se nourrit de la poésie onirique de Vian, m'a semblé très superficiel. L'auteur-cinéaste s'est concentré sur les artifices entourant l'union de ce couple hors normes, en négligeant l'essentiel (oui, celui que chante Ginette Reno).

Je n'ai pas cru à cet amour condamné. Pas plus que je n'ai cru à l'histoire de ce dandy excentrique prêt à tous les sacrifices, même les plus absurdes, pour sauver celle qu'il aime et qui dépérit sous ses yeux. Je me demande si Michel Gondry lui-même y a cru.

Le cinéaste d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind et de La science des rêves s'est manifestement fait plaisir en transposant à l'écran les délires surréalistes de Boris Vian. Les admirateurs de Gondry (qui s'offre un petit caméo dans le rôle du médecin de Chloé) reconnaîtront sa signature unique dans le feu d'artifice d'effets visuels.

Des idées brillantes foisonnent dans cette mise en scène débordante d'originalité et d'inventivité. Mais à force de vouloir traduire fidèlement les images du roman en images de cinéma, Gondry finit par desservir l'oeuvre de Vian, qu'il trahit et écrase, en piétinant ses nénuphars.

Le cinéaste français s'essouffle dans l'esbroufe d'un style envahissant, auquel il ne fait aucune concession. Au-delà des trouvailles scénographiques et du tourbillon étourdissant de la réalisation, on a l'impression de voir un jeune prodige jouer seul avec ses nouveaux blocs Lego. En espérant en mettre plein la vue.

Davantage que l'étalage de talent d'un génie bricoleur, L'écume des jours laisse surtout avec le sentiment d'une oeuvre créée par un surdoué en rupture avec ses émotions et son public. Le résultat est un film froid, distant, gris et sépia, et au final, raté. Dommage.

Refaire le monde

Ils jasent, ils jasent et ils jasent encore. Du début à la fin. Je dois me rendre à l'évidence: je ne déteste pas ça. Surtout lorsqu'il est question d'un couple quasi «mythique» (j'exagère à peine) du cinéma américain contemporain.

On a découvert Céline (Julie Delpy) et Jesse (Ethan Hawke) dans l'irrésistible romance de voyage Before Sunrise en 1995. On les a retrouvés à Paris en 2004 dans Before Sunset. Ils se sont aimés en jasant dans un train, de tout et de rien. Ils se sont perdus et ils se sont retrouvés. Et ils causent toujours.

Dix-huit ans plus tard, Richard Linklater, avec qui les acteurs ont écrit le scénario, est toujours à la barre. Sauf que les discussions, alternant toujours entre le cynique et le romantique, ont pris un autre cours. Céline et Jesse, qui habitent Paris, loin du fils de ce dernier, resté à Chicago avec sa mère, ont passé le cap de la quarantaine et s'interrogent sur leur avenir.

Les vacances en Grèce avec leurs filles jumelles, entourés d'amis écrivains, n'ont pas tempéré les angoisses de Céline, une environnementaliste à la croisée des chemins professionnels, ni les ambitions de Jesse, un auteur de romans à succès qui se demande s'il a été un bon père pour son fils.

Les dialogues sont truculents, les engueulades épiques, la mise en scène d'une rafraîchissante sobriété et le ton, à la fois dur et tendre, à mille lieues des comédies romantiques conventionnelles.

Before Midnight n'a peut-être pas la grâce ni la fraîcheur des deux premiers films de la trilogie, et finit par s'égarer un peu dans la lourdeur de ses verbiages, mais il présente l'avantage indéniable de nous permettre de renouer avec des personnages auxquels on s'est attaché au fil des années (malgré les longues périodes sans nouvelles). Et avec qui l'on prend toujours autant de plaisir à refaire le monde.