Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? C'est, semble-t-il, le nouveau mot d'ordre des studios hollywoodiens lorsque vient le temps de scénariser un thriller.

Fut une époque où le cinéma, en matière de suspense, se contentait d'une bonne finale étonnante. Vers la 90e minute, on pouvait raisonnablement s'attendre à une révélation-choc du type: surprise, le truand n'est pas celui que vous pensiez! Ou encore: il l'a tué avec un chandelier dans la salle de séjour plutôt qu'avec une clé à molette dans la bibliothèque.

Hollywood se satisfaisait à l'époque que son public ait une réaction semblable à celle de gens découvrant, éberlués, que le voisin affable et sans histoire avait tué sa femme ou dépecé la majorité des animaux domestiques du quartier. «Je n'en reviens pas! Il avait l'air si gentil et dévoué. Il ne disait jamais un mot plus fort que l'autre.» (Il était trop occupé à triturer des chatons.)

La recette du punch s'est bien sûr raffinée avec le temps et l'histoire récente du cinéma a retenu quelques fins de films plus originales que d'autres. Je pense à celles de The Crying Game de Neil Jordan, par exemple, ou de The Sixth Sense de M. Night Shyamalan.

Bref, les apparences sont parfois trompeuses. Mieux vaut parfois se pincer pour s'assurer que l'on est bien en vie.

Il semble qu'avec le succès de scénarios plus ambitieux et plus complexes, comme ceux de The Matrix ou d'Inception, Hollywood s'est mis en tête que faire compliqué était plus payant que de faire simple.

Aujourd'hui, on ne compte plus les pirouettes que s'imposent les scénaristes friands de triples saltos arrière pour nous convaincre qu'il est préférable de ne pas avoir les outils nécessaires afin de pouvoir anticiper la résolution d'une intrigue.

Tout est désormais mis en place pour que le spectateur perde le fil du récit et s'égare dans le dédale de fausses pistes. Et tant pis pour ceux qui prenaient plaisir, autrefois, à tenter de deviner comment se termine un film.

Je ne saurais dire précisément quand les scénaristes de thrillers se sont mis à croire que le public jugerait intelligents et sophistiqués des films confus et alambiqués.

Ce qui est clair, c'est qu'il y a une tendance nette à tenter de brouiller l'esprit de synthèse des gens, à mettre à mal leur capacité de déduction, en franchissant sans vergogne les limites prévisibles de leur compréhension d'un récit. Je vous ai perdus? C'était voulu...

Démonter l'intrigue

On en est, je le crains, en la matière, à l'ère du grand n'importe quoi. La maladie des retournements de situations improbables n'a pas épargné le cinéma québécois. Élucider le secret de la Caramilk est plus simple que de trouver une logique aux méandres scénaristiques d'Omertà, le film, et à ses multiples couches de finition bien épaisses.

Qui est au final l'allié de qui, quel corps policier est corrompu ou pas, et pour quelle raison exactement? C'est à en perdre son latin.

L'ironie de cette recette du punch exagérément compliqué, c'est qu'elle est, finalement, assez simple.

Grâce généralement à un montage en flashback et une narration hors champ, un personnage finit par démonter l'intrigue en expliquant aux autres, ainsi qu'à nous, simples spectateurs du commun, tout ce qui n'a pu être décelé au premier regard.

Pour une raison fort simple («simple» étant le mot clé de ce paragraphe): parce que cela, à l'instar d'un puzzle de 15 000 morceaux complété en moins de deux heures, est pratiquement impossible.

Cette recette, c'est celle de Trance, le plus récent thriller de Danny Boyle (Trainspotting), récemment à l'affiche, qui explorait la piste du mentalisme pour agrémenter le vol d'un tableau de plusieurs millions de dollars. Et c'est celle de Now You See Me (Insaisissables), thriller hollywoodien du cinéaste français Louis Leterrier (The Incredible Hulk, Clash of the Titans), à l'affiche depuis hier.

C'est l'histoire de Quatre Cavaliers, magiciens et illusionnistes surdoués, qui s'allient pour donner des spectacles à grand déploiement, à l'invitation d'un mystérieux bienfaiteur. Ces quatre as n'ont pas l'intention de faire les choses à moitié, mais de confondre même les plus sceptiques.

Un magicien à la Luc Langevin (en version arrogante), incarné par Jesse Einsenberg, et un illusionniste de type Messmer (en plus torve), interprété par Woody Harrelson, sont les têtes dirigeantes de ce quatuor en or dont le premier coup d'éclat est de dévaliser une banque à distance. Leur spectacle est à Las Vegas; la banque se trouve à Paris. Mais comment est-ce possible?

Un agent du FBI sûr de lui (Mark Ruffalo) mène l'enquête aux côtés d'une agente française d'Interpol (Mélanie Laurent) qui lui a été imposée. Ils se détestent dès le premier regard. On sent bien que ça ne durera pas (voilà une autre recette éculée de Hollywood qui pourrait faire l'objet d'une chronique).

Dans leurs pattes, il y a un ancien illusionniste (Morgan Freeman), qui débusque les magiciens et leurs tours de magie pour vendre des milliers de DVD.

Ces magiciens-ci ne se laissent pas facilement piéger. Et le scénario sans queue ni tête qu'ils animent n'est pas plus facile à piger.

Même après une longue explication détaillée, censée mettre tous les points sur les «i», le spectateur est laissé à lui-même, à se gratter le crâne et à se demander pourquoi diable un thriller générique sortant de l'usine à saucisses hollywoodienne se donne autant de mal à être compris.

Ma théorie: il est plus difficile de faire simple que de faire compliqué.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca