Le parterre du Théâtre Debussy, qui contient 1000 places, était comble. Malgré la conférence de presse très courue du film de Steven Soderbergh, qui avait lieu au même moment au Palais des Festivals. C'était de bon augure pour Sarah préfère la course, de la Québécoise Chloé Robichaud, présenté hier en première mondiale au Festival de Cannes, en sélection officielle.

Signe que le buzz avait fait son oeuvre. Qu'il y avait de l'intérêt, sinon de la curiosité, pour ce premier long métrage de la cinéaste de 25 ans, sélectionné à Un certain regard, une section qui attire beaucoup d'attention cette année grâce aux films de Sofia Coppola, Alain Guiraudie, Claire Denis ou encore Rebecca Zlotowski.

Les cinéastes Thomas Vinterberg, président du jury d'Un certain regard, et Agnès Varda, qui préside celui de la Caméra d'or (remis au meilleur premier film), se trouvaient dans la salle. Je ne sais pas si c'est pour les influencer, mais au générique, les applaudissements ont été nourris et l'ovation chaleureuse pour Chloé Robichaud et son équipe, eux aussi sur place (ceci expliquant en partie cela).

Un bel accueil, en somme, pour un film de spleen au rythme indolent et syncopé, aux antipodes des courses de demi-fond qui font vibrer son héroïne, cette Sarah (Sophie Desmarais) partie de sa banlieue de Québec pour intégrer la prestigieuse équipe d'athlétisme de l'Université McGill, un mariage blanc à la clé.

La deuxième salle en importance du Palais des Festivals était remplie de journalistes (du quotidien Le Monde, notamment) et de gens de l'industrie du cinéma, parmi lesquels de nombreux Québécois. Je n'ai vu qu'une poignée de personnes quitter la salle avant la fin de la représentation, ce qui est bon signe.

Rencontrée près de la plage après la projection, Chloé Robichaud avait l'air à la fois ravie, émue et soulagée. «J'étais très nerveuse ce matin en me levant, dit-elle. Le photo call [séance de photos officielle] nous a détendus; c'était très drôle d'entendre les cris des photographes. On s'est amusés et tout est allé très vite, on est entrés dans la salle et j'avais hâte que le film commence. L'ovation m'a beaucoup émue.»

La jeune productrice Fanny-Laure Malo, qui collabore avec Chloé Robichaud depuis leurs études en cinéma à l'Université Concordia, accompagnait déjà la cinéaste l'an dernier à Cannes, où son court métrage Chef de meute concourait pour la Palme d'or. Elle aussi était rassurée. «J'ai eu l'impression d'un immense sentiment de gratitude à la fin du film.»

Candidate à la Caméra d'or et aux différents prix d'Un certain regard, Chloé Robichaud, d'une maturité et d'une lucidité remarquables, dit ne rien attendre de plus de son expérience cannoise. «Ce que j'attendais de Cannes, je l'ai déjà eu. C'est la rencontre avec le public.» Elle a raison.

Il y a de belles idées dans son premier long métrage. Rien n'a été laissé au hasard. Cela saute aux yeux dans le soin apporté aux plans, aux cadrages, à la musique. Chloé Robichaud a le souci du détail et évite plusieurs des écueils habituels du premier film. La tentation, notamment, d'en mettre trop. Quitte à pécher par l'inverse...

La mise en scène de Sarah préfère la course est truffée de clins d'oeil sympathiques. Des touches d'humour subtiles. L'idée de ces biscuits chinois, par exemple, qui ponctuent le récit. Mais l'intrigue reste mince. La courbe dramatique manque de ressort, et les dialogues ponctués de silences, de fluidité. Cela crée par moments une ambiance statique et léthargique, qui finit par alourdir ce film gris, en empêchant l'émotion de fleurir chez ses personnages.

Chloé Robichaud a filmé un état d'âme, renvoyant le spectateur à une multitude de questionnements. On salue la sobriété de son oeuvre, mais elle n'est pas sans risques. Celui, notamment, que le spectateur ne ressente aucune empathie à l'égard de son personnage principal, cette jeune femme à la croisée des chemins, qui semble préférer la course à tout, même à la vie.

Le jeu tout en retenue de Sophie Desmarais est dans le ton, très fin, de la mise en scène. Et lui servira sans aucun doute de carte de visite à l'étranger. Mais la passion de son personnage pour la course, présentée à la fois comme une métaphore de la fuite et de l'ambition, est difficilement palpable. Sarah ne discute jamais ou presque de course avec ses coéquipières ou son coach (Micheline Lanctôt).

Sa relation trouble avec son colocataire et «mari» (Jean-Sébastien Courchesne, lui aussi très juste) n'est pas davantage approfondie. Comme du reste celle qu'elle entretient avec ses amies coureuses, avec qui l'on sent qu'elle pourrait développer des affinités. On comprend qu'elle ne se cherche pas de mari. Mais que cherche-t-elle au juste?

Film de non-dits, Sarah préfère la course se refuse à la lumière, de bien des manières. Chloé Robichaud, brillante et cérébrale, a volontairement donné ce ton à son film. C'est un choix qui se défend. Mais ce faisant, elle n'emprunte pas la trajectoire la plus simple. Davantage de portes d'entrée, permettant une plus grande emprise sur ce récit énigmatique, aurait sans doute permis de mieux comprendre pourquoi Sarah veut courir. Et à quel prix. Au bénéfice du spectateur? C'est à chacun d'en décider.

Quoi qu'il en soit, avec ce premier film qui prendra l'affiche le 7 juin dans une vingtaine de salles au Québec, Chloé Robichaud s'impose par la grande porte cannoise dans le monde cinématographique, d'une voix assurée. Une voix originale, que l'on entendra longtemps dans notre cinéma.

VU

Le cinéaste Brian De Palma, à la projection du film de Valéria Bruni-Tedeschi. Il est âgé et mal en point, le cinéaste de Scarface, ce qui n'excuse pas cette manière désagréable de maugréer quand les autres veulent se trouver une place. Quand on ne veut pas être dérangé, on ne s'assoit pas sur le premier siège de la rangée. Grand cinéaste ou pas!

ENTENDU

«Être le seul gars dans une équipe de filles, ça m'a rendu très émotif. Parce que, avec les filles... Oh, je vais m'arrêter là!» - Jean-Sébastien Courchesne, prudent, à propos du tournage de Sarah préfère la course.