Sa voix est la première chose que j'entends le matin, dans mon demi-sommeil, depuis 16 ans. Une voix rassurante et posée. On s'habitue à une voix comme celle-là. En phase avec un propos vif, nuancé, intelligent. À mille lieues de la brusquerie, de l'agressivité et du ton cassant d'autres. Une voix qui nous réveille en douceur.

René Homier-Roy a annoncé hier son départ de l'émission C'est bien meilleur le matin, qu'il anime depuis 16 ans à la Première Chaîne de Radio-Canada. C'est Marie-France Bazzo qui prendra la relève l'automne prochain. L'animatrice rentre au bercail radio-canadien après y avoir fait sa marque dans les années 1990 et 2000, à l'émission Indicatif présent.

On se réjouit bien sûr du retour à la radio publique de Marie-France, la candidate toute désignée à sa succession, mais René va nous manquer. Érudit, informé, respecté, distrayant, naviguant aussi bien en entrevue avec un ministre qu'avec une star du cinéma, il ne s'en laisse jamais imposer. À 73 ans, il n'a rien perdu de sa verve, de son enthousiasme et de son esprit.

René Homier-Roy sait plus que quiconque, de manière subtile et perspicace, faire comprendre à un invité à la langue de bois trop rigide qu'il ne tolère pas le mensonge, le louvoiement et les demi-vérités. Sans aboyer ni vociférer dans le vide, comme d'autres - on ne nommera pas de noms - dont cela semble être la principale «qualité».

Le «bullshitomètre» de René a toujours été au service de ses auditeurs, ses fidèles alliés, qui, grâce à ses questions pertinentes, arrivent à voir clair dans le jeu de certains invités récalcitrants. Très bien préparé, rigoureux, lui aussi pose les «vraies questions», de manière élégante, sans jamais se défiler devant un invité. «Si [les auditeurs] veulent se faire crier des noms, ils savent où aller», disait-il hier à Catherine Perrin, son ancienne chroniqueuse culturelle.

René Homier-Roy n'est pas un adepte du politically correct et ne se cache pas sous un voile d'objectivité. On sait d'ordinaire où il loge. Il ne craint pas de s'indigner ni de livrer le fond de sa pensée. Parfois même un peu trop. La semaine dernière, à propos de la chanteuse canadienne Rita McNeil, décédée la veille, il a déclaré qu'elle avait une belle voix, mais qu'elle était «vilaine». Les «limites» du direct...

Les dérapages à son antenne, cela dit, ont été très peu fréquents. René Homier-Roy est un animateur consciencieux. Mais libre. De sa parole, de sa manière d'être, de sa façon de travailler. Il n'a jamais toléré qu'on lui dicte la façon de procéder. Est-ce parce qu'il sentait cette liberté menacée, par la haute direction de Radio-Canada, qu'il a décidé de quitter son poste? C'est possible.

Les corridors de Radio-Canada bruissaient de rumeurs au sujet du départ de Homier-Roy depuis le début de la semaine. Ceux de Cogeco aussi, où Marie-France Bazzo avait annoncé qu'elle quittait l'émission du matin de Paul Arcand au 98,5 FM, où elle commentait l'actualité, mettant la puce à l'oreille de quelques journalistes.

René Homier-Roy, de son propre aveu, se voyait à la barre de C'est bien meilleur le matin «ad infinitum». Comme un pape. Hier, il a renoncé à son titre, mais aussi à une vie monastique, lui qui se levait tous les matins à 3h. La perte de certains proches cette année, son conjoint, deux grands amis, a forcément remis les choses en perspective. À 73 ans, il a décidé de passer à autre chose.

J'en parle comme s'il quittait la radio pour toujours. Ce n'est pas du tout le cas. Ce workaholic impénitent se retrouvera dès l'automne à la barre d'une nouvelle émission hebdomadaire, diffusée en direct le week-end sur le réseau national de Radio-Canada. Il s'agira, selon nos sources, d'une émission culturelle, où il pourra sans doute nous entretenir de l'une de ses grandes passions, le cinéma.

Marie-France Bazzo, quant à elle, devient la première morning woman à animer la prestigieuse émission du matin de la Première Chaîne à Montréal, qui sera rebaptisée. Elle se retrouvera en concurrence directe avec Paul Arcand, à l'émission duquel elle collaborait depuis 2008 dans le cadre de la Commission Bazzo-Dumont, une chronique quotidienne sur l'actualité en tandem avec Mario Dumont.

C'est à Patrick Beauduin, le directeur général de la radio de Radio-Canada, actuellement en congé de maladie, que l'on doit le retour à la radio publique de l'ancienne animatrice d'Indicatif présent et de VSD Bonjour. Les relations étaient restées tendues entre Radio-Canada et Marie-France Bazzo depuis que cette dernière avait claqué la porte de la tour du boulevard René-Lévesque, en 2006, entre autres pour des raisons d'iniquité salariale.

Elle y reviendra à l'automne, justement, par la grande porte. Aux aurores, avec de bien grands souliers à chausser. Et tout ce qu'il faut pour y arriver.