D'aussi loin qu'elle se souvienne, Chloé Robichaud a voulu faire du cinéma. «J'avais 3 ans, je pense, quand j'ai décidé que je serais cinéaste», me dit-elle en souriant à l'idée de sa vocation précoce.

Cette jeune femme sereine et déterminée a réalisé son premier film à 11 ans, à l'école primaire. Rien n'a pu la faire dévier de sa trajectoire depuis. «Mes amis m'ont toujours dit: «Toi, t'as de la chance. Tu sais ce que tu veux faire dans la vie.» Je n'ai jamais eu de plan B!»

Elle n'en aura pas besoin. Dans un mois, le tout premier long métrage de cette cinéaste de 25 ans, Sarah préfère la course, sera présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes, dans la prestigieuse section Un certain regard (qui s'ouvrira le 16 mai avec le nouveau film de Sofia Coppola, Bling Ring).

Il ne s'agira pas de la première visite de Chloé Robichaud sur la Croisette. La cinéaste s'y rend chaque année, depuis 2010, avec la délégation québécoise, un court métrage sous le bras. L'an dernier, son film Chef de meute a été sélectionné en Compétition officielle, avant d'être choisi dans le «Canada's Top Ten» du Festival de Toronto. L'étincelle nécessaire, sans doute, au feu vert donné par les institutions au financement de son premier long métrage.

En mai dernier, je l'avais croisée en face du Palais des festivals, en compagnie de l'actrice Ève Duranceau, tard dans la nuit cannoise, un poisson dans l'eau scintillante, en route vers une soirée strass et paillettes. Jeune artiste que je devinais à la fois timide et déterminée, le regard brillant, les deux pieds bien ancrés sur terre.

En marge de l'annonce de sa programmation, jeudi matin, Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes et responsable de la Sélection officielle, a confié au collègue Maxime Demers qu'il aimerait un jour voir un film de Chloé Robichaud en compétition. Tout un compliment. «Quand on connaît la fidélité de Cannes envers ses cinéastes, on se dit que c'est vraiment réjouissant», a noté le distributeur de Sarah préfère la course, Patrick Roy des Films Séville.

Chloé Robichaud a beau n'avoir que 25 ans, elle dégage l'assurance, dénuée d'arrogance, d'une cinéaste qui en a le double. Elle est en quelque sorte une enfant de la balle. Dès son plus jeune âge, elle accompagnait son père sur des tournages publicitaires dans la région de Québec. «J'étais fascinée par les caméras, par les équipes techniques», dit-elle.

Elle s'est même retrouvée devant la caméra, pour certains messages publicitaires. Comme un certain Xavier Dolan, avec qui les comparaisons sont aujourd'hui inévitables. Ils ont à peu près le même âge (Dolan a 23 ans) et sont les deux seuls cinéastes québécois à avoir eu l'honneur d'une Sélection officielle à Cannes depuis Denys Arcand avec Les invasions barbares il y a dix ans.

Sarah préfère la course raconte l'histoire d'une jeune coureuse de demi-fond de la banlieue de Québec (Sophie Desmarais, qui s'est entraînée six mois pour le rôle), à qui l'on propose d'intégrer l'équipe d'athlétisme de l'Université McGill. Elle a 20 ans, n'a pas d'argent, mais fera tout pour réaliser son rêve, même s'engager dans un mariage blanc afin de toucher des prêts et bourses. «C'est un film sur la prise de décision, dit la cinéaste. Sur les choix tumultueux du passage à l'âge adulte et sur les conséquences d'avoir un rêve. Il y a souvent un prix à payer.»

Chloé Robichaud a elle-même quitté sa ville natale de Québec pour Montréal à l'âge de 19 ans, après des études en cinéma au cégep F.-X.-Garneau (où elle a rencontré sa future directrice photo).

Chloé Robichaud, une ancienne joueuse de soccer et de basket-ball, se décrit comme une fille d'équipe. La sienne, sur ce premier long métrage, avait un âge moyen de 25 ans. «Je travaille depuis le début avec le même noyau de personnes, que j'ai rencontrées au cégep, à l'université et à l'INIS. C'était le premier long métrage pour l'ensemble de l'équipe, ce qui peut sembler peu rassurant. Mais j'avais envie de faire ça avec ma famille de cinéma. On se comprend sans même avoir à se parler.»

Tous ont sauté à pieds joints dans l'aventure, sans promesse de financement, d'une rémunération idoine, ni bien sûr d'une sélection à Cannes. La cinéaste tient d'ailleurs à rendre hommage au dévouement de son équipe, notamment à ses acteurs, parmi lesquels Hélène Florent, Ève Duranceau et Micheline Lanctôt, qui fut son professeur et reste son mentor.

«J'ai tout fait pour que Chloé puisse faire le film qu'elle avait en tête, sans compromettre sa vision», dit l'une de ses plus précieuses collaboratrices, la productrice Fanny-Laure Malo, rencontrée elle aussi pendant ses études en cinéma à l'Université Concordia. Ce film au ton ironique, où la course sert de «métaphore de la fuite», a été réalisé grâce à un budget de 1,2 million de dollars et prendra l'affiche le 7 juin au Québec.

Chloé Robichaud rêvait de réaliser un premier long métrage avant l'âge de 25 ans. Non seulement a-t-elle réalisé ce rêve comme ce film, mais il sera en Sélection officielle à Cannes dans quelques semaines. Elle n'aurait pu l'imaginer, même dans les rêves les plus prescients de sa tendre enfance.

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