La situation est préoccupante. Parce que les exceptions - qui confirment la règle - sont de plus en plus fréquentes. Vendredi, comme le souligne le collègue Marc-André Lussier dans son reportage, 42, film sur la vie du grand Jackie Robinson, prendra l'affiche au Québec exclusivement en anglais.

Alors qu'il est assez rare que de grandes productions hollywoodiennes ne prennent pas simultanément l'affiche en français et en anglais au Québec, on remarque depuis quelques mois que les studios américains dérogent à leurs bonnes habitudes.

Hollywood avait compris, depuis plusieurs années, qu'il était dans son intérêt, comme dans celui du public québécois, que ses films soient doublés en français au Québec. Le doublage québécois ne coûte pas cher et est beaucoup plus apprécié par le public québécois que le doublage franco-français. Les recettes aux guichets en témoignent.

Or, les temps sont durs aux États-Unis et les budgets sont restreints à gauche et à droite. Certains grands studios semblent avoir décidé de réaliser des économies sur le dos du public québécois. En faisant fi de la spécificité d'une société qui, dans une perspective hollywoodienne, n'a rien de distincte. Rappelons que, pour Hollywood, le Québec fait partie du «marché domestique» nord-américain. Au même titre, ni plus ni moins, que le Dakota-du-Nord, le Tennessee et l'Île-du-Prince-Édouard.

En novembre, l'un des films les plus attendus de la dernière année, Lincoln de Steven Spielberg, a aussi pris l'affiche en anglais seulement au Québec. Il a fallu attendre deux mois avant qu'une version doublée en France ne circule enfin chez nous. Entre-temps, pour comprendre ce film verbeux sur l'abolition de l'esclavage, les francophones ont le choix entre consulter leur dictionnaire anglais-français au cinéma ou prendre leur mal en patience.

Selon les principes de l'entente Bacon-Valenti, datant de 1986 et régissant la distribution de films en sol québécois, une entreprise pouvait distribuer au Québec un film tourné dans une langue autre que le français pendant 60 jours sans obligation de mettre à l'affiche sa version française. En 1991, la ministre de la Culture du Québec, Liza Frulla, a fait réduire ce délai à 45 jours.

Il reste que rien n'oblige les distributeurs à proposer au public québécois des versions françaises de leur film. Au terme du délai prescrit, même s'il n'a pas été doublé, un film peut même rester à l'affiche (en une seule copie). Sachant que, de nos jours, le cycle commercial «naturel» d'un film dépasse rarement 45 jours, les studios américains ont donc le loisir de ne pas se soucier du fait français au Québec.

Heureusement, les studios hollywoodiens ont compris qu'il n'était pas dans leur intérêt de s'aliéner la majorité du public québécois, qui préfère voir ses films doublés ici. Sauf que Lincoln et 42 sont des exemples probants d'une situation de plus en plus inquiétante.

Est-ce que certains studios estiment que l'effort du doublage, réalisé au Québec pour quelques dizaines de milliers de dollars, n'en vaut plus la peine? C'est le signal qu'envoie Warner Bros., à tout le moins, en prétendant qu'une version franco-française de 42 est en route alors que, selon les informations obtenues par le collègue Lussier, il n'en est rien.

Passe encore que de petits films indépendants, qui ne tiendront pas l'affiche deux semaines, n'aient pas de version française. Mais la preuve a été faite que la sortie de superproductions américaines doublées au Québec est rentable, à la fois pour les studios hollywoodiens et pour l'industrie du doublage québécoise.

Jackie Robinson, premier joueur noir de l'histoire du baseball professionnel, a fait ses débuts à Montréal en 1946, dans l'uniforme des Royaux, club-école des Dodgers de Brooklyn. Son histoire, qui transcende le sport professionnel, est liée à celle de Montréal, plus grande ville francophone d'Amérique.

Dans les circonstances, ne serait-ce que de manière symbolique, on se serait attendu à ce que les studios Warner Bros. fassent un effort pour que 42, qui relate les grands moments de la vie de Robinson, soit doublé par des artisans québécois, pour un public québécois. Pas qu'il s'ajoute aux exceptions à la règle.

J'ai beau préférer les films en langue originale avec sous-titres que les films doublés et ne pas apprécier les tempêtes linguistiques, je trouve inadmissible que le Québec soit ainsi considéré comme une quantité négligeable par Hollywood, qui fait autant ici qu'ailleurs des affaires d'or.

Il va beaucoup me manquer

C'est en partie grâce à lui que je fais ce métier. Roger Ebert est mort jeudi, à 70 ans, des suites d'un cancer. Le plus célèbre critique de cinéma des États-Unis a été le premier à recevoir un prix Pulitzer, pour les textes qu'il a rédigés au Chicago Sun-Times pendant 45 ans.

Cinéphile érudit qui a su transmettre avec intelligence son amour du cinéma, en adaptant son discours aux besoins d'un quotidien grand public et de la télévision, Roger Ebert fut une référence et une inspiration pour une génération de critiques de cinéma. À 11 ans, lorsque je suis tombé par hasard, aux studios MGM d'Orlando, sur le tournage de l'émission spéciale «Oscars» de Gene Siskel et Roger Ebert, sans doute ai-je trouvé, sans le savoir, ma vocation.

Je l'ai croisé à quelques reprises. Au Festival de Toronto, à la fin des années 90, j'avais trouvé le courage de lui demander ce qu'il avait pensé du film Boys Don't Cry. La dernière fois que je l'ai vu, c'était à Cannes, il y a quelques années, où il s'était rendu, diminué, amaigri, l'ombre de lui-même, malgré un cancer de la gorge qui lui avait fait perdre l'usage de la parole et l'empêchait de boire et de manger normalement.

Sur son blogue et sur Twitter, où il s'était trouvé une niche et un nouveau public, Roger Ebert commentait avec humour et beaucoup d'esprit, de sa plume alerte et sensible, le cinéma, l'actualité et les enjeux de société, sans jamais se censurer. Il va beaucoup me manquer.

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