Elle est l'équivalent pour les artistes de la cote A de Moody's pour les entreprises ou la cote Z des cégépiens du dernier millénaire. La cote des vedettes. L'animatrice Christiane Charette, que l'on a bien hâte de retrouver en ondes vendredi soir à Télé-Québec, en parlait dimanche à Tout le monde en parle.

Dans le milieu de la télévision, on se réfère aux potentiels invités d'une émission selon leur pouvoir d'attraction, leur notoriété ou encore leur cote d'amour auprès du public. De la même manière qu'il y a dans le showbiz américain des «A-listers» et des «B-listers», on trouve au Québec des vedettes de catégorie A («Canada de fantaisie», comme les petits pois) et de catégorie B (à appeler lorsque toutes les vedettes de catégorie A ont décliné une invitation).

Il s'agit, ni plus ni moins, d'un système de castes établi selon les bons vieux principes de la sélection naturelle. Et qui détermine, par ricochet, la cote d'une émission de télévision (dont l'attrait est tributaire de sa propension à attirer des artistesde catégorie A plutôt que des pis-aller). Et le serpent de se mordre la queue...

Vous avez l'impression d'avoir vu et revu Martin Matte, Claude Legault ou encore Louis-José Houde sur le plateau de Tout le monde en parle? Ce n'est pas qu'une impression. La grand-messe radio-canadienne est une émission de catégorie A qui attire des invités de catégorie A, à ce point peu nombreux au Québec que l'on doit impérativement leur adjoindre quelques «B» et «C» ainsi qu'un ou deux quidams pour varier la sauce en espérant qu'elle prendra.

Certaines émissions n'ont pas ce loisir et se résignent à piger dans les échelons moindres de l'alphabet, faute de mieux. Ou invitent sans cesse la même poignée d'artistes certifiés «A» ou «B» afin de discuter de sujets variés, plus ou moins dans leur champ de compétence.

Qu'est-ce qu'une vedette de catégorie A? Christiane Charette, qui en est une - elle a déjà remporté le prix MetroStar de la personnalité féminine de l'année -, a proposé quelques éléments de réponse dimanche: Véronique Cloutier, Julie Snyder, Guy A. Lepage...

La cote A n'est pas toujours aussi évidente à déterminer. Elle peut dépendre de l'émission et du public visé. Comme elle peut être corrigée à la hausse ou à la baisse. Claude Legault est depuis longtemps un «A» alors que Réal Bossé, grâce au succès de 19-2, est nouvellement un «B». Louis-José Houde est un «A» partout, tandis que Mario Tessier est sans doute davantage un «A» à TVA qu'à Radio-Canada. Et ainsi de suite.

La cote des vedettes est loin d'être une science exacte, malgré les savants algorithmes, nourris de sondages et de focus groups, qui font miroiter aux producteurs et aux diffuseurs la perspective de cotes d'écoute mirobolantes. La preuve en a été faite par dix: la bonne cote d'un invité-vedette n'est pas garante d'une bonne cote d'écoute. J'ai travaillé cinq ans à une émission de télé qui attirait davantage d'auditeurs avec un bon sujet plutôt qu'avec un invité bien coté.

Le public n'est pas dupe. Il en a soupé d'entendre le même chanteur ou la même actrice sur toutes les tribunes, dans la même quinzaine, tenter de promouvoir son nouveau spectacle ou sa pièce de théâtre en se pliant aux exigences d'un concept d'entrevue «ludique» recyclé 1000 fois depuis que Proust a concocté son fameux questionnaire.

Et les émissions d'insister pour inviter ces «A» lessivés, sursollicités, n'ayant plus rien d'original à offrir à force d'être écartelés, sous prétexte, ben, que ce sont des A et qu'ils se passent de présentations. En essayant de toutes les manières possibles, souvent insidieuses, de leur arracher un morceau «exclusif».

Et pourtant, même en connaissance de cause, telle une béquille ou par réflexe pavlovien, la plupart des émissions font encore et toujours appel à ces vedettes patentées plutôt qu'à des spécialistes afin d'entretenir les téléspectateurs de sujets dont elles n'ont qu'une connaissance superficielle ou pour régurgiter les mêmes discours convenus entendus partout ailleurs. Dans l'intérêt de qui? Ni du public, ni de l'émission, ni même de la vedette.

Il s'agit de l'effet le plus pernicieux de ce système informel de castes. Qui explique en grande partie la paresse et le manque d'audace dans le choix des invités. Ainsi que l'absence d'inspiration et d'imagination nécessaires afin d'assurer une diversité de voix à la télé.

S'il est vrai que la manière dont on dit les choses importe souvent davantage que les choses que l'on dit à la télévision, il y a, en plus des A, des B et des C, quantité de V, W et X, parfaits inconnus des masses, maîtrisant des sujets pointus et qui valent la peine d'être entendus.

Bien sûr, comme le rappelait Christiane Charette dimanche, il faut qu'un invité puisse capter l'attention des téléspectateurs. Qu'il soit intéressant non seulement dans son propos, mais dans sa manière de l'exprimer. C'est la cruelle réalité de la télé. Pourêtre un bon invité, selon les standards établis, il faut savoir projeter son message avec enthousiasme et vivacité.

Je ne prétends pas qu'il faut inviter un plus grand nombre de gens ennuyeux à la télévision. Je prétends que l'on se prive souvent d'entendre des gens intéressants, de crainte qu'ils ne soient ennuyeux. Et qu'il s'agit du coeur du problème.