Le personnage s'appelait Monsieur Cohen. Il était incarné par l'acteur Harry Standjofski. C'était au milieu des années 90 à Radio-Canada. Un téléroman campé au palais de justice de Montréal, avec Linda Roy, Marie Charlebois et Raymond Legault.

Cela fait presque 20 ans. Et pourtant, je me souviens très bien de ce Monsieur Cohen, qu'un acteur hispanophone prononçait «Messieu Cohène». Pas parce que le téléroman (À nous deux!) était particulièrement réussi, mais parce que ce Monsieur Cohen était l'un des rares personnages anglo-montréalais à se trouver au coeur de l'intrigue d'une fiction à la télévision québécoise.

Depuis, il y a bien sûr eu le New-Yorkais Malik de Sophie Paquin, les Italo-Montréalais d'Omertà ou l'amant torontois de Kim dans Mauvais karma. Mais des personnages anglo-québécois assez présents et importants, dans une télésérie ou un téléroman, pour marquer les esprits à long terme?

On pense spontanément à David, le dentiste de Sophie Paquin, à Thomas Edison, interprété par Jon Lajoie dans L'auberge du chien noir, aux personnages de Lance et compte (Mac Templeton et Mike Ludano, notamment). À celui, dont on a oublié le nom, joué par William Hurt dans Rivière-des-Jérémie. Et à quelques autres.

Un «sondage» absolument pas scientifique auprès de quelque 40 000 lecteurs potentiels sur Twitter m'a permis de constater que les mêmes noms de personnages revenaient constamment. Ce qui en dit long, à mon sens, sur leur nombre restreint.

«Le fait est que si vous regardez la télévision québécoise, nous n'existons pas. Ou nous avons des rôles de bouffons de temps en temps», a déclaré le producteur du film Bon Cop, Bad Cop Kevin Tierney, jeudi, à l'occasion d'une discussion sur la présence des anglophones au Québec animée par les journalistes de la CBC Mike Finnerty et Debra Arbec.

Une discussion à laquelle participait aussi le ministre péquiste Jean-François Lisée, l'avocate Anne-France Goldwater, la blogueuse Tamy Emma Pepin, le caricaturiste de la Gazette Terry Mosher (Aislin) et l'homme d'affaires John Stokes, au Crowley Arts Center de Notre-Dame-de-Grâce.

C'est en réponse à Jean-François Lisée, qui avait suggéré aux anglophones de «cesser de demander la permission d'être Québécois», que Kevin Tierney a lancé ce cri du coeur d'Anglo-Montréalais. «On a bien des choses à donner [à la société québécoise], dit-il. Je veux en faire partie. Je ne veux pas être à l'extérieur, à regarder par la fenêtre. On peut faire notre part. C'est pour ça qu'on est toujours là.»

La population de Montréal, où se déroulent la plupart de nos séries, est à environ 10% anglophone, selon le dernier recensement (2011). À quelques points de pourcentage près, selon qu'il s'agisse de la langue maternelle ou de la langue parlée à la maison. C'est sans compter la proportion d'«allophones» qui s'expriment davantage dans la langue de William Shatner que dans celle d'Albert Millaire.

Y a-t-il 10% de personnages anglophones dans les fictions de la télévision québécoise? Certainement pas. Je suis loin d'être en faveur de quotas, qu'on me comprenne bien, mais il me semble qu'on est loin d'une représentation réaliste de la diversité linguistique de notre société à la télé.

Pourquoi donc? Parce que les scénaristes québécois fréquentent peu de milieux où l'on trouve des anglophones? Parce que leurs producteurs ou leurs diffuseurs craignent de rebuter certains téléspectateurs avec des personnages aux accents anglophones trop marqués?

Sauf erreur, je ne crois pas avoir aperçu de personnage anglo digne de mention dans les grandes séries de l'heure (en faisant abstraction d'un Albertain dans Mémoires vives): Toute la vérité, Unité 9, 19-2... Pourtant, ce ne sont pas les avocats (tel M. Cohen), les criminels ou les policiers anglophones qui manquent au Québec, non?

Lorsque Kevin Tierney prétend que les anglophones sont absents de la télévision québécoise, il exagère (et oublie que son propre fils Jacob a déjà eu un rôle dans Watatatow!). Mais sur le fond, il n'a pas tort. S'il y a eu une réelle évolution de l'«anglais» dans la télévision québécoise depuis l'image de l'oppresseur des Histoires des pays d'en haut ou de Terre humaine, les personnages anglo-québécois modernes et importants restent rares.

Cela témoigne d'une réelle réticence - d'un malaise? - à faire une place à la communauté anglo-québécoise dans notre paysage télévisuel, comme du reste dans notre cinématographie. Le fils de Tierney, Jacob, avait d'ailleurs suscité toute une controverse, il y a trois ans, en déclarant que les immigrants et les anglophones étaient non seulement marginalisés, mais invisibles dans le cinéma québécois. Lui non plus n'avait pas tort.

Cette sous-représentation des anglos à l'écran en dit davantage, à mon sens, sur la majorité francophone que sur la minorité anglophone du Québec. Comme si, à l'instar de Jean-François Lisée, on disait aux anglos de cesser de demander la permission d'être Québécois... à condition que ça ne paraisse pas trop.