Exercice de style pompeux ou critique sociale au second degré? Il y a des oeuvres qui laissent perplexe quant aux intentions de leur auteur. Spring Breakers de Harmony Korine, à l'affiche vendredi prochain, est de celles-là.

Ce film sur quatre étudiantes délurées, prêtes à tout pour se rendre en Floride pendant leur semaine de relâche, fut l'un des plus remarqués la semaine dernière à South by Southwest (qui est aussi un festival de films indépendants). Il fut présenté auparavant aux plus récents festivals de Venise et de Toronto.

Un film qui fait jaser parce qu'il met en scène James Franco dans le rôle d'un rappeur-gangster-trafiquant de drogue aux dents métalliques, mais aussi (et surtout) Selena Gomez et Vanessa Hudgens, égéries de Disney, dans des rôles de «mauvaises filles» portant le bikini en permanence (à la plage, au tribunal, à l'épicerie).

Pour certains, Harmony Korine, 40 ans, qui a scénarisé Kids de Larry Clark alors qu'il n'avait que 22 ans et réalisé Gummo à 24 ans, est un génie. Pour d'autres, il n'est qu'un poseur qui surfe depuis longtemps sur une réputation surfaite.

Je me range résolument dans le deuxième camp. Notamment - je le reconnais -, parce que certains effets de mode du cinéma me dépassent et que j'ai des inclinations assez conventionnelles comme cinéphile. J'ai de la difficulté à voir dans Spring Breakers autre chose qu'un film d'esbroufe prétentieux, régurgitant tous les travers d'un artiste nourri au vidéoclip autant qu'au cinéma d'auteur.

Harmony Korine, dont la carrière a été lancée après une rencontre fortuite avec Larry Clark (dont il a aussi scénarisé le film Ken Park), propose un regard excessivement esthétisant sur le déclin de l'Amérique, en une abondante litanie de clichés. Des étudiants s'intoxiquent en troupeaux sur la plage, baisent en groupe et en public, s'acoquinent avec des criminels et finissent par tirer de la mitraillette. En bikini.

La pomme n'étant pas tombée loin de l'arbre, Korine partage avec Larry Clark une propension (certains diraient une obsession) à filmer les corps nus ou presque de jeunes femmes nubiles. À tel point que cela prend le pas sur tout le reste. C'est-à-dire les délires éthyliques ou les fantasmes d'un gangster minable qui chante du Britney Spears.

On peut certes trouver tout ça amusant. Ce l'est à certains égards. Il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Korine se moque des excès de la religion, du culte des armes, de la manière convenue dont une partie de la jeunesse américaine s'autorise à la débauche avant de se ranger pour toujours dans un quotidien terne et balisé.

C'est un regard volontairement caricatural qu'il pose sur la culture américaine dans tous ses excès. Un regard à mon sens plus condescendant que percutant, banalement provocateur - sans l'être réellement -, exempt d'une finesse d'esprit qui aurait permis au spectateur une lecture plus approfondie de l'oeuvre.

C'est principalement ce que je reproche à Korine. Bien sûr, il a un talent indéniable pour l'image. Quoique je trouve son esthétique assez lisse et redondante. Il multiplie les images archétypales sans leur donner suite. Il se complaît dans des plans symboliques de filles en bikini se roulant dans des billets de 100 $ ou de Lolita mimant des fellations sur des popsicles, sans proposer une réelle réflexion.

Son intention n'a pas à être précise. Sauf qu'elle est ici à ce point floue qu'il est difficile de distinguer si le cinéaste fait l'apologie ou plutôt la critique de la violence et de l'exploitation sexuelle qu'il met en scène. Le sait-il lui-même?

Pendant que d'autres crient au génie - la presse française ne se peut plus -, je soupçonne Korine de ne pas avoir de propos. De se contenter de faire beau et branché, en s'adaptant au goût du jour et à ce qui est célébré comme frais et moderne dans un exercice masturbatoire affecté, d'une lassante vacuité.

Dans ce film au scénario accessoire, sans queue ni tête, où des personnages au coeur de l'intrigue disparaissent sans raison à mi-parcours, Harmony Korine fait la preuve d'une irritante prétention. On ne pourra l'accuser d'avoir réalisé un film générique. Mais à qui bon ces répétitions de répliques et d'effets visuels interminables? Le monteur était-il à ce point en manque de matériel à se mettre sous la dent?

Les admirateurs de Korine diront qu'il a réalisé un film volontairement bête et stupide. Je l'espère bien! Cela n'excuse rien. Même au second degré, lorsqu'il est fait avec autant d'insistance - ce film se résume essentiellement à une orgie de bikinis -, l'exploitation de l'image de la femme n'est pas davantage acceptable.

Spring Breakers, sorte de mariage entre Girls Gone Wild! et le Scarface de De Palma, exploite sous tous ses angles le corps de la jeune femme, plus que tout autre film de récente mémoire. Évocations de lesbianisme, trips à trois, fétichisme avec des armes à feu, les fantasmes du macho primaire sont partout surlignés à grands traits.

Certains diront que la finale à la Thelma et Louise suggère une forme de pseudo post-féminisme de type «girl power» à poil. Du grand n'importe quoi, si vous voulez mon avis. «Quarante ans de féminisme pour en arriver là!», a dit l'ami Lussier en sortant de la projection. En effet. Si Harmony Korine est un génie, je suis Mère Teresa.